Feriez-vous confiance à des types pareils ?
Démocratie et entreprise : dedans ou dehors ?

La répartition des esclaves

Slaves_2  Dans cette entreprise, mon interlocuteur m'informe, comme un scoop, de la ré-organisation qui va être annoncée au Comité d'Entreprise la semaine prochaine...

Cela doit être la troisième ou quatrième ré-organisation dont j'entend parler dans cette entreprise depuis trois ou quatre ans, au gré des changements de Président et Directeurs Généraux...Cela me laisse toujours songeur...Bien sûr, derrière tous ces mouvements, il y a des histoires d'hommes, de personnes qui ne s'entendent pas, qui ne s'apprécient pas, et des amitiés d'écoles d'ingénieurs, de corps d'Etat, de partages de moments ensemble dans d'autres entreprises avant de rejoindre celle-ci, des luttes de pouvoir (comme toujours, il vaut mieux diviser pour mieux régner..). Il y a des amitiés professionnelles". Et puis, il y a des illusions : en séparant mieux (c'est à dire en les confiant à deux Directeurs différents) les activités de ceci des activités de cela, cela marchera mieux... Il y aussi des croyances : il vaut mieux décentraliser, et nommer des responsables forts près des opérations, ou bien, avec tout autant de certitudes, "il vaut mieux avoir un centre fort, qui mutualisera, qui détiendra et démultipliera le corps de doctrine et des bonnes pratiques, ...".

Alors, cette nouvelle organisation, qui consiste en l'occasion à nommer des Directeurs par grand domaine, qui vont redécouper les responsabilités de l'entreprise entre eux, c'est bon pour lundi, ça démarre tout de suite ?

Et là, mon interlocuteur lâche :

" Non, car il faut encore se répartir les esclaves".

Et il termine sa phrase avec un air gourmand... en ajoutant : "J'adore cette expression"... devant les visages un peu interloqués de deux de ses jeunes collaborateurs (la trentaine) qui participaient à cette séance...

Tout de suite aprés, un silence flotte, chacun se regarde...Aucun mot ne sort, tout se dit par les yeux, par la réflexion intérieure...Un instant comme une éternité, que l'on contemple comme une ogadine...

Et puis nous avons continué notre réunion...

Cet épisode m'est resté en tête toute la semaine. Cette vision de l'organisation, de l'efficacité, du management (même si le côté "bon mot" a sûrement dépassé la pensée réelle), est-elle encore adaptée au management des activités de l'entreprise d'aujourd'hui ?

C'est vrai que, vu d'"en haut", l'entreprise ce sont des cases et des organigrammes. Comment tous ces collaborateurs vont-ils travailler différemment ensemble, et quels seront les bénéfices pour les clients ? Espérons qu'on s'est posé la question, mais ce n'est pas toujours si sûr.

De fait, ce sont quand même ces liens entre tous les collaborateurs, les échanges, les entraides et les équipes, qui feront toute la différence..Et pas tellement les Directeurs avec leurs "esclaves"...

Cette image des Directeurs avec leurs esclaves qu'ils se sont répartis, elle dit tout : elle présente l'entreprise comme une collectivités d'enchaînés, que d'autres, les chefs, croient diriger...Elle est encore trés caractéristique des visions de l'entreprise les plus répandues...Pour la 2.0, il faudra attendre un peu...

Mais qui croit encore, quel que soit le niveau où nous nous situons dans une organisation, même le poste le plus élevé de ce que l'on appelle un "dirigeant", que l'on "dirige" vraiment une entreprise ?

L'essentiel de ce qui s'y passe, en fait, nous échappe....comme par exemple cette conversation sur la répartition des esclaves...

Commentaires

FJM

J'imagine maintenant les deux jeunes collaborateurs ayant assité à la réunion: quel est à présent leur état d'esprit? leur posture par rapport à l'entreprise? par rapport à leurs "maîtres"? La dialectique dans l'entreprise est à mon avis aussi importante que les actes et souvent elle les induit. J'aimerais également connaître votre impression: le silence lourd de sous-entendu est-il la seule réponse que l'on puisse apporter à une telle réflexion?

Jean-Louis Richard

Il est probable que le vrai esclave de l'entreprise, au sens où il lui sacrifie sa dignité et sa liberté d'homme, c'est ce dirigeant... l'a-t-il compris ?

lapinblanc

C'est drôle, on dirait que vous travaillez chez France Télécom ! (c'est du vécu)

Sylvain

Un ancien de mes partners (dont je tairais le nom) prenait un malin plaisir à mettre en exergue cette notion d'esclave : "chaque personne est l'esclave de quelqu'un" (sic).

Vision réductrice des rapports et des échanges humains, lesquels, sans un minimum de liant, sont inefficaces à souhait.

L'âge des pharaons et des pyramides a évolué, l'approche du management chez certains dirigeants certainement pas...

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