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Démocratie et entreprise : dedans ou dehors ?

Assemblee_nationale La revue "Sciences Humaines" de novembre consacre un dossier spécial à un thème qui a une longue histoire : la démocratie aux portes de l'entreprise...

Cette histoire revient régulièrement dans les débats, et encore dernièrement dans un des débats de ICC'07...avec le témoignage de Michel Hervé...

Le dossier remet bien en perspective une question toute simple, mais difficile : les salariés ont-ils vocation à participer aux décisions de l'entreprise ?

Drôle d'histoire, assurément, car pour nombreux, l'entreprise n'est pas un lieu démocratique mais celui où s'exprime le pouvoir de l'actionnaire (l'éternelle "shareholder value"..), et celui du dirigeant nommé par les actionnaires, le conseil d'administration, pour y prendre les décisions. Les autres, les salariés, ont un contrat de travail qui les rend sujet du dirigeant, pour exécuter ses directives...

Pourtant, depuis longtemps, les salariés ont revendiqué d'y exercer plus de pouvoir. C'est Blum et le front populaire qui fera entrer dans l'entreprise ce qu'on appelle, entre experts, les IRP (Instances de Représentation du Personnel), les délégués du personnel; et puis à la libération, ce seront les comités d'entreprise. Mais ce pouvoir "de l'intérieur", qui a d'ailleurs ses limites, s'est bien moins développé que celui "de l'extérieur", qui s'exerce depuis la porte de l'entreprise, par l'intermédiaire des organisations syndicales, qui connaissent un moment de gloire lors des "accords de Grenelle" en 1968, qui institueront les délégués syndicaux.

En fait, au fil du XXème siècle, vont émerger progressivement ces instances représentatives du personnel au sein des entreprises. Mais, en fait, cela ne signifie pas du tout que les salariés y aient gagné une large participation aux décisions de l'entreprise.

Ce sont surtout les organisations syndicales et leurs représentants, encore trés minoritaires au sein du personnel des entreprises (pas plus de 8% des salariés, 5% dans le privé) qui trustent la représentation, en se concentrant sur les questions d'emploi, de salaires, de régulation du marché du travail. L'entreprise et ses dirigeants gardent la main sur la gestion, l'organisation du travail.

Et puis, ces dernières années, à partir des années 90, les questions de gestion et d'organisation vont être de plus en plus décentralisées, on va parler de management participatif, de "management par projet", d'implication du personnel, etc... Pourtant les syndicats n'aiment pas trop ces dragues organisées, car en mobilisant des groupes de collaborateurs, elles court-circuitent les instances représentatives... et c'est tout le dilemne quand on parle de participation des salariés aux décisions, certains pensent IRP, d'autres des "groupes de travail"...et cette histoire dure encore bien sûr.

Pourtant si il y a un sujet où la démocratie va rester à la porte, c'est ...LA STRATEGIE ...Là, on est dans la vraie question, celle réservée à l'élite, à l'aristocratie dirigeante de l'entreprise : ses dirigeants...

Et pourtant, c'est précisément cette question qui est sur la table aujourd'hui, depuis les années 2000...

En fait, cette histoire sort précisément au moment de l'avènement d'un "nouveau capitalisme", celui de la mondialisation, de la globalisation, de l'importance croissante des actionnaires, de la prise de pouvoir par les conseils d'administration. Comme le signale Xavier de la Vega dans le dossier de "Sciences Humaines" :

" Le personnel et ses représentants ont d'autant moins de possibilités d'influer sur les décisions que le poids des actionnaires sur ces dernières s'est nettement renforcé."

Et ainsi est remis en cause la gouvernance des entreprises.

D'où aussi cette théorie des "stakeholders", à laquelle Thierry Breton ne manquait pas une occasion de déclarer son amour, vient remplacer chez certains l'approche classique des années 90 sur la "shareholder value", c'est à dire la création de valeur pour l'actionnaire seul critère pour jauger la performance.

Les "stakeholders", ce sont les parties prenantes, comprenant les actionnaires, comme les clients, les fournisseurs , et ....oui, le personnel. On y revient.

Cette théorie, dont j'ai déjà parlé, vient donc mettre le personnel dans les discussions, dans la stratégie, au même titre que les autres "parties prenantes", et ainsi revient, à petits pas, la revendication d'une forme moderne de démocratie entre ces parties prenantes pour manager et prendre les décisions dans l'entreprise.

Le dossier nous a ainsi fait un tour complet de 1920 à aujourd'hui, montrant combien cette histoire de démocratie est tantôt dedans, tantôt dehors...

Il est sûr, qu'aux yeux de plusieurs dirigeants, une large participation des salariés est un gage d'efficacité dans les organisations, mais cette conception de la participation ne signifie pas pour autant représantation des instances syndicales ( au contraire) , ni vote démocratique pour les prises de décisions.

Au-delà, on va aussi parler des administrateurs salariés, que l'on pourrait considérer comme le nec plus ultra de la pénétration démocratique dans l'entreprise. Tout va bien alors ?

Pas si sûr, car, comme le souligne Daniel Bouton, PDG de la Société Générale, et auteur d'un rapport sur la gouvernance des entreprises :

" Entre les salariés et les directions, les horizons de temps sont très différents. Il peut être bénéfique pour l'ensemble de l'entreprise de prendre une décision à long terme qui implique des sacrifices à court terme. Or un administrateur salarié aura naturellement plus de difficulté à une telle décision. Le conseil d'administration n'est pas le lieu d'expression des parties prenantes de l'entreprise. En effet, la mission d'un administrateur est de représenter l'intérêt de l'entreprise dans son ensemble".

Le salarié participant au conseil d'administration ressemble ainsi à Icare : en se rapprochant des lieux de décisions de l'entreprise, il risque de s'y brûler, condamné à "trahir" ses pairs, où ne pas être capable d'exercer sa fonction.

Ces réflexions, et d'autres figurant dans ce dossier trés riche, viennent à point nous montrer que ces débats sur la "démocratie" en entreprise se perdent rapidement dans la confusion et le paradoxe...

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de "réflexion collective", de "management et partage des connaissances",  comme nous le montrent les ouvrages et le blog d'Olivier Zara (qui aborde ce même thème de l'entreprise démocratique ici) ...et une forme de management comme le "fourmi management"...

La démocratie dans l'entreprise ne serait alors qu'un vieille idée....vieillie ? En tous cas une illusion qui dure...


La répartition des esclaves

Slaves_2  Dans cette entreprise, mon interlocuteur m'informe, comme un scoop, de la ré-organisation qui va être annoncée au Comité d'Entreprise la semaine prochaine...

Cela doit être la troisième ou quatrième ré-organisation dont j'entend parler dans cette entreprise depuis trois ou quatre ans, au gré des changements de Président et Directeurs Généraux...Cela me laisse toujours songeur...Bien sûr, derrière tous ces mouvements, il y a des histoires d'hommes, de personnes qui ne s'entendent pas, qui ne s'apprécient pas, et des amitiés d'écoles d'ingénieurs, de corps d'Etat, de partages de moments ensemble dans d'autres entreprises avant de rejoindre celle-ci, des luttes de pouvoir (comme toujours, il vaut mieux diviser pour mieux régner..). Il y a des amitiés professionnelles". Et puis, il y a des illusions : en séparant mieux (c'est à dire en les confiant à deux Directeurs différents) les activités de ceci des activités de cela, cela marchera mieux... Il y aussi des croyances : il vaut mieux décentraliser, et nommer des responsables forts près des opérations, ou bien, avec tout autant de certitudes, "il vaut mieux avoir un centre fort, qui mutualisera, qui détiendra et démultipliera le corps de doctrine et des bonnes pratiques, ...".

Alors, cette nouvelle organisation, qui consiste en l'occasion à nommer des Directeurs par grand domaine, qui vont redécouper les responsabilités de l'entreprise entre eux, c'est bon pour lundi, ça démarre tout de suite ?

Et là, mon interlocuteur lâche :

" Non, car il faut encore se répartir les esclaves".

Et il termine sa phrase avec un air gourmand... en ajoutant : "J'adore cette expression"... devant les visages un peu interloqués de deux de ses jeunes collaborateurs (la trentaine) qui participaient à cette séance...

Tout de suite aprés, un silence flotte, chacun se regarde...Aucun mot ne sort, tout se dit par les yeux, par la réflexion intérieure...Un instant comme une éternité, que l'on contemple comme une ogadine...

Et puis nous avons continué notre réunion...

Cet épisode m'est resté en tête toute la semaine. Cette vision de l'organisation, de l'efficacité, du management (même si le côté "bon mot" a sûrement dépassé la pensée réelle), est-elle encore adaptée au management des activités de l'entreprise d'aujourd'hui ?

C'est vrai que, vu d'"en haut", l'entreprise ce sont des cases et des organigrammes. Comment tous ces collaborateurs vont-ils travailler différemment ensemble, et quels seront les bénéfices pour les clients ? Espérons qu'on s'est posé la question, mais ce n'est pas toujours si sûr.

De fait, ce sont quand même ces liens entre tous les collaborateurs, les échanges, les entraides et les équipes, qui feront toute la différence..Et pas tellement les Directeurs avec leurs "esclaves"...

Cette image des Directeurs avec leurs esclaves qu'ils se sont répartis, elle dit tout : elle présente l'entreprise comme une collectivités d'enchaînés, que d'autres, les chefs, croient diriger...Elle est encore trés caractéristique des visions de l'entreprise les plus répandues...Pour la 2.0, il faudra attendre un peu...

Mais qui croit encore, quel que soit le niveau où nous nous situons dans une organisation, même le poste le plus élevé de ce que l'on appelle un "dirigeant", que l'on "dirige" vraiment une entreprise ?

L'essentiel de ce qui s'y passe, en fait, nous échappe....comme par exemple cette conversation sur la répartition des esclaves...


Feriez-vous confiance à des types pareils ?

Microsoftgang   Cette photo mythique date de 1978... Elle est généralement présentée avec avec cette question : "Achèteriez-vous les actions de l'entreprise créée par des types pareils ?"...

Il y a,bien sûr, une astuce : cette photo est celle des créateurs de Microsoft, avec le bambino en bas à gauche, le plus propre sur lui, les cheveux chatains bien peignés,trés premier de la classe, du nom de... Bill Gates...

C'est vrai, pourtant que l'image de l'équipe dirigeante d'une entreprise, et surtout son comportement collectif, est un facteur clé pour apprécier la cohésion et l'efficacité de celle-ci. Et cette image nous dit en même temps "les apparences sont trompeuses", et "c'est vrai qu'on se laisse influencer par les apparences"... Dilemne éternel.

Philippe Varin, CEO de Corus, groupe sidérurgique héritier du hollandais Hoogovens et de British Steel, était vendredi 19 octobre, un jour de grêve, l'invité des Matins HEC pour nous le rappeler.

Il a pris les commandes en 2003 d'une entreprise qui avait trés mal géré sa fusion, avec des équipes hollandaises et britaniques qui ne s'entendaient pas, en conflit (oui, l'interculturel est toujours un problème..). C'est le Financial Times qui a résumé ses qualités à son arrivée : "This guy has two qualities : 1. He's nor brit; 2. He's not Dutch..".

Cette entreprise en mauvaise santé, l'action valant autour de 40 pences, il l'a redressée en trois ans pour organiser sa revente au groupe indien Tata Steel qui la paiera 608 pences, valorisant ainsi l'entreprise à plus de 9 milliards d'euros (multiplication par 15 !)...Il a d'ailleurs à son arrivée acheté lui-même des actions (c'était une condition de son arrivée), et s'est fait une plus-value sympathique de 10 millions de Livres avec la revente à Tata...

Et il organise aujourd'hui cette nouvelle fusion avec Tata Steel, les dirigeants ayant mis comme condition à l'achat que Philippe Varin reste au moins deux ans...

Est-ce parce qu'il habite maintenant Londres, ou un trait qu'il possédait , c'est avec un humour trés "british" qu'il nous a conté, avec beaucoup de malice et de modestie, son aventure au pays de "brits", "dutchs", et de la famille Tata...

En citant les noms des individus qu'il a cotoyé, convaincu, avec qui il a meneé le redressement, il nous a fait en tous cas bien comprendre combien diriger une entreprise, c'est d'abord une histoire de rapports humains et des personnes. A l'heure où certains pensent que l'entreprise devient 2.0 grâce aux réseaux et à internet, cela fait du bien à entendre pour revenir un peu sur terre dans la vraie vie des entreprises et de leur réussite.

Bien sûr, on avait envie qu'il nous donne la bonne formule pour réussir une fusion, lui qui a connu le pire, et tente maintenant le meilleur..

Il n'y a pas de recette, nous a-t-il dit, mais il a quand même livré les trois choses les plus importantes qu'il juge nécessaires pour réussir :

1. Une vision : on fusionne, on transforme, pour un but, clairement pensé et se traduidsant en objectifs opérationnels, et en actions;

2. Une équipe dirigeante : c'est cette équipe, comment elle s'entend, comment elle se présente et incarne l'entreprise, avec ses valeurs, son éthique, qui est clé selon Philippe Varin. Il a renvoyé neuf sur dix des membres du comité de direction à son arrivée, et dispose aujourd'hui de l'équipe qui reflète ce qu'il veut faire, et porte la confiance des collaborateurs. Avec Tata, les deux états-majors sont restés distincts pour le moment, mais..."ça ne durera pas..".

3. Une culture : c'est celle qui est portée d'abord par l'équipe dirigeante, et qui se décline dans toute l'entreprise, aux niveaux de management. La question à laquelle il faut répondre, pour Philippe Varin, c'est : Quelles seront les caractéristiques des managers Corus dans cinq ans ? que dira-t-on d'eux ? etc..

Ces réflexions ont peut être donné envie aux HEC présents dans la salle d'aller regarder la photo de leur comité de direction, ou de leur équipe, pour se poser de telles questions...

Nous laissant à nos pensées, Philippe Varin nous a aussi, à la fin, avec son humour, remercié d'être venu en bravant le "french desease"....

Tout d'un coup, après avoir passé une heure en sa compagnie à faire le tour du monde du management, nous étions revenus en France, et il faisait froid dehors...

Brrrrr....


Les grandes et les petites choses

Coccinelle01_2 Pas facile pour un manager de bien doser son rôle vis à vis de ses collaborateurs. S'il se mêle trop de leurs affaires, est trop sur leur dos, on va parler de "micro gestion", qui laisse trop peu de place à l'autonomie, à la créativité, qui étouffe les autres.

Idem pour les administrateurs qui veulent trop s' impliquer dans les actes : "Stop ! pas de micro gestion" dira le Président, soucieux de garder le pouvoir qui lui a été délégué.

Mais, inversement, pour celui qui aura pris trop de distance par rapport au terrain, on parlera d'un autre risque, celui de la "macro gestion". D'où l'idée du manager baladeur pour éviter ce grave défaut.

Henry Mintzberg considère que les "ravages de la macro gestion" sont pires que ceux de la micro gestion.

" Ces "leaders", du haut de leur piédestal, accouchent de visions enfantées par l'Immaculée Conception. Ils énoncent de grandes stratégies et formulent des objectifs de performance abstraits que tous les autres membres doivent s'empresser de mettre en oeuvre."

" Ce style de gestion, la gestion par proclamation, conduit à prendre des décisions parce qu'on a le pouvoir de les prendre, sans même se faire un devoir de les justifier".

Mais alors, comment faire ?

Henry Mintzberg cite Konosuka Matsushita, fondateur de Panasonic, afin de nous aider à trouver le bon équilibre, dans une formule facile à retenir et trés pratique :

" Ce qui me préoccupe, ce sont les grandes et les petites choses. Entre les deux, je délègue."

Sage recommandation.

C'était une petite note....sur un grand sujet.


Autorité méritée

Mrite L'Ordre National du Mérite (photo ci-contre) a été créé par le Général de Gaulle en 1963 pour récompenser les "mérites distingués", mais cette notion de mérite ne sévit pas que dans les cérémonies de décoration .

Elle est particulièrement d'actualité dans les discours de nos gouvernants d'aujourd'hui : en clair, il faut travailler plus pour gagner plus, il faut rémunérer et gratifier les plus méritants, et c'est ce fameux mérite qui justifie les inégalités entre les personnes.

Mais cette histoire de mérite vient aussi jouer une autre musique, celle de la contestation des droits et situations qui ne seraient pas dûs au mérite. Comme des privilèges qu'une  nouvelle nuit du 4 août devraient abroger...Et il suffit de relire l'histoire des années 1789 et suivantes pour sentir tous les excès que peut enfanter de telles postures...

Exemple dans cette remarque de l'animateur du débat ICC'2007 que j'avais commenté ici, et qui m'a gentiment cité sur son propre blog.

Alors que j'avais rapporté mon impression que les jeunes générations se montraient plus facilement rebelles à l'autorité, Marc de Fouchécourt, professeur à l'ENSAM, réplique :

"les jeunes générations ne sont pas allergiques à l'autorité, mais entendent qu'elle soit fondée ."

Ce commentaire m'a rendu songeur : doit-on considérer que certaines autorités sont "fondées" et d'autres "non fondées", autorisant ainsi celui qui porte un tel jugement à la contester, ou à la nier, si elle n'est "pas fondée". Il y aurait ainsi des autorités méritées, et d'autres non méritées.

Respect aux bons patrons, aux leaders méritants et admirés; Haro sur les autres qui n'auront que ce qu'ils méritent : l'opprobe, la désobéissance, la révolte...Même chose à l"école pour les bons professeurs, et les autres...Bref, si l'autorité n'est pas respectée, c'est qu'elle ne le mérite pas !

Parfait !

Mais qui va décider, alors, le caractère mérité ou non de cette autorité ?

C'est toute l'ambiguïté, et le danger pour le management, de cette notion de mérite, interprétée comme cela nous arrange, selon que l'on soit l'autorité ou celui qui en est le sujet... et c'est cette ambiguïté qui rend complexes les relations hiérarchiques et de pouvoir dans nos entreprises.

La philosophie politique s'est depuis longtemps interrogée sur cette notion, appliquée à la société dans son ensemble, mais elle nous fournit aussi, par assimilation, des éclairages intéressants pour réfléchir aux situations de management dans les entreprises.

Bertrand Guillarme, qui s'exprimait cette semaine devant l'Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), dans un cycle de formation sur "qu'est-ce qu'une société juste ?", distingue trois modèles, qui permettent de structurer notre réflexion. Je vais essayer de résumer cet exposé pas toujours facile à suivre...mais passionnant pour fixer les concepts.

Le premier modèle, dit "technocratique", considère que la société juste est celle où chacun se trouve à la bonne place pour la satisfaction d'un bien social qui dépasse chacun des individus, et s'impose comme un bien collectif; C'est par exemple le modèle des philosophes "utilitaristes", tels Sidwick ou Bentham, qui considèrent que la société est juste quand elle réalise la plus grande somme sociale des satisfactions, et donc, pour que la société soit juste, il faut que chacun reçoive ce qui permet de produire le plus grand bien collectif. Dans cette justice "distributive", il ne s'agit pas que d'argent, mais d'honneurs, de places...d'autorité.

Dans une entreprise, on pourrait considérer que le profit maximum constitue ce bien social à promouvoir, et que l'autorité et les rémunérations seraient ainsi distribuées afin d'optimiser celui-ci. Est-ce ainsi que l'on pourrait expliquer la remarque ci-dessus sur l'"autorité fondée" (?) Bien sûr que non, car ce n'est probablement pas sur ce critère du profit maximal que les employés respectent ou non l'autorité... Ce modèle trouve en fait ses limites dans la négation qu'il fait de la reconnaissance de droits individuels.

En science politique, ce modèle a disparu dans les sociétés dites "démocratiques", car justement il est universellement admis que les libertés sont considérées comme des droits individuels qui ne pourraient être sacrifiés. Il en est probablement de même dans nos entreprises, même si elles ne s'assimilent pas à des organisations démocratiques. Il ne suffit plus aujourd'hui d'évoquer le "profit maximal" pour justifier n'importe quelle organisation ou tel ou acte d'autorité. Bien au contraire, on voit se développer les discours et engagements sur les valeurs, l'éthique, et tout ce qui reconnaît un droit à l'individu.

Alors, observons le deuxième modèle, celui dit "libéral classique". Là, on va considérer que le modèle juste et parfait sera celui où la liberté de choix de chacun pourra s'exercer. Le mérite dépend ainsi de l'effectivité de la liberté de choix. Mais, pour que seule la liberté de choix puisse intervenir, il faut, selon ce modèle, annuler tout facteur dit "extérieur", et donc compenser l'infortune de ceux qui sont désavantagés sans qu'il l'aient choisi..En clair, que ceux qui ont eu de la chance, comme à une loterie, transfèrent de la fortune à ceux qui n'en ont pas eu...C'est sur des théories de ce genre que certains (par exemple Philippe Van Parijs, mais aussi...christine Boutin) mettent en avant une notion d'"allocation universelle", ou de "revenu tout au long de la vie" pour tout citoyen. Les inégalités de fortune ou de pouvoir sont donc admises dans ce modèle, à condition qu'elles ne résultent que de libres choix (par exemple une préférence pour le loisir plutôt que pour le travail), et non de causes externes, qui doivent, elles, être éliminées.

Dans ce modèle, il s'agit en fait de définir les incapables et les capables, en rendant publiques les hiérarchies entre eux. Il empêche ainsi le respect naturel des individus, et est basé sur des rapports d'envie : les bien lotis doivent pitié et déférence aux mal lotis, auxquels ils accordent des "compensations", et les mal lotis, qui ne recevront ces compensations que contre reconnaissance de leur infériorité, vivent dans le ressentiment.

Pas facile de transposer un tel modèle de justice dans nos entreprises, même si les "salaires minimum" et les minima sociaux de toute nature en sont une forme d'expression.Vis à vis de l'autorité, il reviendrait à considérer comme "fondée" uniquement l'autorité que l'on exerce ou que l'on accepte par libre choix, sans contredire l'exercice du libre choix de chacun...Libre à chacun d'exercer ses talents pour accéder aux pouvoirs et à l'autorité, mais à condition qu'aucun autre paramètre n'ait permis cet accès autre que ce libre choix (genre "travailler plus pour gagner plus"...), et en compensant tout handicap naturel pour l'éliminer. Pas trés pratique comme modèle...

Politiquement, ce type de modèle, avec le système de "compensation" poussé à l'extrême, n'est jamais promu dans les sociétés démocratiques.

Venons-en au troisième modèle : le modèle "procédural".

Dans ce modèle, également d'essence libérale, il est considéré que si les individus prennent leur décision dans un contexte social adéquat, ils méritent alors le résultat de leur décision. C'est donc la justice du contexte social d'ensemble qui va justifier, ou non, les libertés politiques des individus. C'est la théorie développée notamment par John Rawls. L'ordre des priorités dans ce modèle est donc inversé par rapport au modèle précédent : Si la société est juste, alors les individus ont un titre légitime sur les biens qu'ils acquièrent. Pour John Rawls, ce contexte "juste" consiste à ne pas accepter des inégalités trop fortes, ni des désavantages trop forts pour les plus désavantagés. C'est aussi la promotion de "l'égalité des chances" : les inégalités sociales et économiques sont justifiées dès lors qu'elles sont attachées à des positions ouvertes à tous, conformément à l'égalité équitable des chances, et si l'ordre social auquel elles correspondent est l'ordre le plus bénéfique aux plus désavantagés.

C'est ce modèle qui inspire ceux qui pronent notamment la "discrimination positive", qui, en forçant à réduire les inégalités va permettre d'améliorer le contexte social. Les enfants de ceux qui auront bénéficié de cette "discrimination positive" seront mieux intégrés, et auront accès à des places auxquelles ils n'auraient pas eu accès si leurs parents n'avaient pas bénéficié de celle-ci.

John Rawls justifie ainsi un libéralisme extrêmement égalitaire, qui veut effacer tout phénomène de domination exagéré, qui conduirait à un contrôle trop fort de certains sur d'autres (pouvoir social, contrôle des moyens d'information,..), au point de les considérer comme des "inférieurs". Dans l'ordre politique, il propose ainsi, par exemple, le contrôle des temps de parole dans les élections, le financement public des élections, etc...

Ce modèle promeut un système où le mérite est valorisé, et justifie les positions et l'autorité, mais dans un cadre qui doit être considéré comme institutionnellement juste.

C'est ce même sentiment, probablement, transposé à l'entreprise, qui va peut-être donner du sens à cette notion d'"autorité fondée" : chacun exercera son autorité et occupera légitimement sa place dans l'entreprise si il est unanimement reconnu, au sein de la communauté humaine qu'elle constitue, que le cadre général de fonctionnement est "juste", et ne génère pas des inégalités trop extrêmes. C'est pourquoi aussi les entreprises qui ont saisi le sens de cette philosophie vont s'intéresser aux questions de diversité et de développement durable, qui constituent aussi des facteurs rendant le cadre institutionnel "juste".

Se retrancher vers une autorité suprême comme le profit (ou l'actionnaire, ou la création de valeur), c'est s'embarquer dans un modèle technocratique inefficace.

Le modèle de John Rawls semble séduire nos penseurs contemporains, et en tout cas Bertrand Guillarme, qui en est devenu le spécialiste.

Finalement, la philosophie politique est un bon moyen de préciser cette notion de mérite et de société juste.


Geek ou Stasi ?

Stasi " Dans les entreprises aujourd'hui, les dirigeants qui s'intéressent à la technologie s'intéressent surtout au côté domination : reporting, contrôle...C'est la Stasi !".

Celui qui parle comme ça, c'est Michel Hervé, Président de Hervé Thermique, et auteur d'un livre sur "De la pyramide au réseau" (que je n'ai pas encore lu, mais ça va venir), lors d'un des débats, auquel j'ai assité, des Rencontres ICC 2007 (Innovation-Compétitivité-Connaissance) qui se tenaient au Palais des Congrés les 2 et 3 octobre.

Bien sûr, Michel Hervé ne se sent pas membre de cette "Stasi connection", et les dirigeants dont il parle, ce sont les autres...Lui, il est pour l'introduction de la démocratie participative dans toute l'entreprise, la libération des énergies, l'autonomie des collaborateurs.

Le système de la pyramide était nécessaire quand la technologie n'existait pas : le meilleur moyen, le moins coûteux, pour faire circuler l'information, était la pyramide, la hiérarchie : c'était le coût de transfert le plus faible.

Avec les nouvelles teechnologies, nous avons les solutions techniques, sur étagère, pour sortir de ce cadre. Chacun est acteur du nouveau cadre, toute information peut être traitée instantanément pour informer un autre....C'est le temps des réseaux et de la transversalité...

Les jeunes générations sont en demande de ces nouvelles pratiques de travail, avec moins de contrôle, et plus de marges de manoeuvre.

Des fanas de ces nouvelles possibilités technologiques, dont la version la plus aboutie est dénommée "geek" ( obsédé de technologie, genre le polard de l'école d'ingénieur), il y en avait plus que d'agents de la Stasi dans les allées du Palais des Congrés pour ces rencontres ICC.

Cette attraction pour les technologies par les jeunes générations du marché du travail, on la sent bien en observant de tels évènements, mais on sent aussi combien cela les rend rebelles à l'autorité, à l'entreprise dite "traditionnelle" .

Pourtant, cette indépendance, cette autonomie, permises par le travail avec les nouvelles technologies (bluekiwi, Squido, Polyspot,....toutes ces entreprises start-up ont des noms de jeux vidéos..), elle n'est pas la réponse définitive au management de nos entreprises,

L'un des participants à un autre débat parlait d'"infobésité" pour parler de l'avalanche d'informations auxquelles nous pouvons avoir accès avec le Net, Google, les outils divers,et combien cela pouvait être perturbant. Ne risque-t-on pas, en perdant la capacité de trier, sélectionner, donner du sens, non pas un progrès de la connaissance, mais au contraire, une "croissance de l'ignorance" ?

Appelé à témoigner sur ses pratiques de management, Thomas Defaille, directeur du développement et des partenariats technologiques de Microsoft France, nous a parlé...des réunions qu'il organisait avec ses équipes, et individuellement avec chacun de ses collaborateurs...et nous a prévenu : "un sharepoint ne remplace pas un process de management et de gestion"... (pour les moins geek, un sharepoint est un outil permettant de partager des fichiers).

Bref, "travailler et manager autrement" avec les nouvelles technos...pas vraiment si autrement finalement.

L'école Emsi de Grenoble , représentée aussi lors de ces rencontres, tient un observatoire des usages des nouvelles technologies par les dirigeants, et les classe en catégories genre "accros", sceptiques",etc...Et publie aussi des ouvrages pratiques sur le sujet.

Leur dernière enquête : à plus de 80%, les dirigeants sont ..."sceptiques" ou "distants" !!

tout est dit : les geeks d'un côté, les jeunes générations, celles qui se méfient des entreprises classiques, de l'autre les patrons, entre stasi, sceptiques et distants...

Il y a encore du chemin à faire pour améliorer l"efficacité collective" de nos entreprises, et faire évoluer les mentalités...

   Résultat du petit sondage :

Les nouvelles technologies dans l'entreprise

La Stasi 6.25%
Communiquer dans l'entreprise 2.0 31.25%
Des outils pour faire plus vite des tâches sans intérêt 43.75%
Pour chater sur facebook et glander au bureau 18.75%

Bon, grâce aux outils qui permettent de faire plus vite des tâches sans intérêt, on a plus de" temps pour glander sur facebook...Pour le web 2.0, on va encore attendre un petit peu..Mais ça progresse....