Vacances parlées
Ecouter et comprendre : pas avec les tableaux de bord

Prima donna

CallasCela fait trente ans que Maria Callas nous a quitté, et cet "anniversaire" est l'occasion dans les journeaux de reparler de celle qu'on a appelé "la prima donna du siècle". On vante en même temps son talent, son génie, et on rappelle ses caprices, c'est ça une prima donna !

La prima donna, cela nous évoque effectivement quelqu'un de génial, d'extrêmement talentueux, mais aussi capricieuse, difficile à supporter pour son entourage parfois.

De même que j'avais évoqué les ténors et les barytons de nos entreprises, il est facile de repérer les prima donnas dans nos entreprises.

Il est évident que, comme dans le monde de l'opéra, les professionnels et collaborateurs les plus brillants ne sont pas les plus faciles à manager.

Ce sont généralement des personnes créatives, talentueuses, souvent trés performantes. Elles sont de véritables "drivers" du changement, elles posent les bonnes questions, elles apportent le regard critique qui bouscule les habitudes. Les entreprises qui veulent réussir ont besoin de prima donnas. Elles sont souvent appréciées, voire plus, des clients, mais, par contre,  elles sont aussi un enfer pour les collaborateurs qui travaillent avec elles, et les managers qui tentent de les "gérer".

Elles peuvent être facilement arrogantes, agressives. Elles irritent, critiquent, ridiculisent, intimident, énervent leur entourage facilement, et en y prenant du plaisir. Elles interrompent facilement des conversations où elles n'ont pas été conviées, et se comportent comme si elles étaient expertes de tous les sujets. Elles peuvent, quand elles sont en position de manager, se comporter en tyrans, et pousser leurs collaborateurs à bout. Elles aiment avoir le dernier mot, donner le tempo du travail.

Ce genre de personne se rencontre facilement dans des milieux de firmes professionnelles, consultants (certains disent même que tous les consultants sont des prima donnas), cabinets d'avocats, sociétés de service, mais aussi dans des milieux divers.

La situation est d'autant plus difficile qu'elle met en évidence un terrible paradoxe : doit on tout supporter sous prétexte que cette personne est brillante et performante ? Et quel est alors le risque sur la gestion de l'ensemble de l'équipe ou de l'organisation dont on a , en tant que dirigeant, la charge ? Et puis, pour faire appliquer les règles, qui distinguent le tolérable de l'intolérable, encore faut-il en avoir formulé, et montrer qu'on se les applique à soi-même, et à tous les niveaux de l'entreprise. Autre point, que se passe-t-il vraiment, quelles sont les vraies conséquences du non respect des règles ? Toutes ces questions, nos primas donnas nous les renvoient à la figure.

David Maister, dont j'ai déjà parlé, a consacré un chapitre d'un de ses livres à ce sujet des "prima donnas" , et nous donne des conseils pour mieux les manager ("tackle the prima donnas").

Ces réflexions sont intéressantes, car il est en effet difficile de traiter intelligemment des sujets de comportement dans le management. Il est notamment extrêmement délicat de ne pas tomber dans l'erreur majeure qui consiste à s'occuper de la personnalité du collaborateur, plutôt que de son comportement.

Car, forcément, ce qui fait la nature et la qualité de la prima donna, c'est précisément sa personnalité. Et il ne sera pas facile de la changer comme ça. Alors, c'est quoi le vrai problème, et que faire ?

Le problème concerne les effets néfastes du comportement de la prima donna sur les autres et la façon dont ils la perçoivent. Si ces travers de comportements sont tels qu'ils mettent mal à l'aise, rendent nerveux, agressifs, innefficaces, les personnes qui entourent la prima donna, les empêchent de travailler ensemble, alors l'ensemble du travail de l'équipe, l'efficacité collective, sont forcément compromis.Et l'entreprise ne retire aucun bénéfice de leur travail.

La question est d'autant plus préoccupante que, naturellement, on sera plus facilement intransigeant avec le comportement des personnes moyennes et médiocres, à qui on ne pardonnera pas grand chose, alors, qu' inversement on risque de se montrer beaucoup plus tolérant envers ces éléments brillants. La question à se poser, c'est : jusqu'où ?

Alors, pour gérer ces situations difficiles, extrêmement exigeantes en terme de management, David Maister nous livre quelques pistes. L'avantage est que ces indications valent autant pour un auto-diagnostic de la prima donna que pour celui qui la dirige.Et puis, n'y a-t-il pas une prima donna qui sommeille en chacun d'entre-nous ?

1. De quels faits parle-t-on ?

Il s'agit là d'être le plus factuel possible. Sans remettre en cause la personnalité, quels sont les comportements qui doivent être changés ? Il faut s'efforcer d'être le plus objectif possible. Des exemples concrets, des choses que l'on a vraiment observées, dites ou faites, qui posent de réelles difficultés dans les relations avec les autres, vont permettre de comprendre où sont les problèmes et non de sauter tout de suite aux conclusions.

2. Pourquoi est-ce un problème ?

  Les prima donnas ont généralement un point commun : elles aiment la franchise. Ne soyons pas timides. Parfois, les personnes ont besoin d'un miroir, car elles ne savent pas comment elles sont perçues. La discussion est l'occasion de mieux comprendre qu'il y a un réel problème à résoudre, d'une façon ou d'une autre. C'est bien du comportement et de ses effets dont on parle ici, et non de la personnalité. Il s'agit de se mettre d'accord qu'il y a un sujet à régler, pour le bien être du collaborateur, mais aussi celui du groupe et de l'entreprise.

Il s'agit de trouver une solution, pas de mettre à terre le collaborateur.

3. Qu'est-ce qui explique ce comportement ?

Nous n'arriverons pas à résoudre le problème de comportement si nous ne comprenons pas pourquoi le collaborateur a de telles difficultés.

Peut être est-ce un problème de compétences en communication, ou tout autre facteur externe et personnel. Il faut écouter et comprendre.

Il suffit parfois d'en parler pour permettre d'analyser la situation, et proposer des actions correctrices.

David Maister nous conseille d'éviter les discussions philosophiques interminables, la réthorique, le débat, qui ne mènent à rien, mais de rester à des questions simples : La prima donna pense-t-elle qu'elle doit changer de comportement ou non ? Comment pense-t-elle que les autres se sentent quand il a dit ou fait ce que vous lui avez décrit ?

4. Quel bénéfice professionnel apporterait un changement de comportement ?

Si l'on place la discussion sur le thème de la carrière professionnelle, la situation devient simple. Il est extrêmement important de faire sentir à la prima donna ce qu'il y a derrière si elle change son comportement. Elle apportera plus de valeur à l'entreprise, elle sera plus respectée par les autres, elle gèrera mieux ses clients,..Mettons aussi en évidence les risques de perdre toute forme de coopération de la part de ses collègues, alors qu'elle pourrait en avoir besoin.

5. Comment résoudre le problème ?

Comme dans toute action de changement, aucune chance de réussir si la personne ne considère pas que le problème est le sien, et non les autres. Et il doit y avoir un vrai engagement pour le résoudre.

Alors, David nous suggère d'aller chercher les petites améliorations, les petits pas dans le changement du comportement, qui rapprocheront des grandes victoires professionnelles.

6. Agir dès maintenant

La prima donna ne changera pas de comportement du jour au lendemain; cet exercice doit se répéter régulièrement; les engagements se prennent au fur et à mesure; les résultats viennent petit à petit.

Tout ça a l'air simplissime.

Mais, bien sûr, devant un tel programme, on peut se demander si il est bien necessaire de passer autant de temps et d'énergie avec ces prima donnas qui perturbent les autres.Nombreux sont ceux qui baissent les bras. Et parfois il faut savoir dire stop..mais en étant sûr que ce n'est pas la Callas qu'on assassine.

Et là, on revient au sujet du début : est-ce que l'on veut diriger la Scala de Milan, et proposer à nos clients les sopranos les plus talentueuses, parfois difficiles, mais que l'on s'efforce de gérer et de faire grandir au mieux des intérêts de la communauté, en développant des qualités de leadership et de management adaptées et de haute qualité (et à condition que cela soit vraiment profitable pour le public, les clients, les actionnaires), ou bien est-ce que l'on se contente d'une troupe de chanteurs corrects, qui ne posent pas de problèmes, et qui enchantent les publics de Clochemerle-sur-Oise...?

En fait la question, c'est aussi celle de l'ambition du dirigeant, du manager. Difficile en tous cas, d'imaginer que c'est en ayant des gens autour de soi faciles à manager, au point d'en être serviles et dociles, qui obéissent aux habitudes, appliquent les instructions sans discussion, et ne forcent pas leur talent, que l'on fera de son entreprise un leader de l'excellence et de l'innovation. Il faut aussi s'entourer de quelques prima donnas, mais qui restent dans des comportements acceptables et conformes aux valeurs de la collectivité. Et c'est là toute la difficulté..

David Maister nous suggère de bien peser cette décision, et ce casting,  et de ne pas risquer de compromettre tout l'opéra, et toute la saison, et toute l'entreprise, pour un caprice innaceptable de prima donna. C'est encore, comme toujours, une histoire de courage.

Mais n'oublions pas non plus que les prima donnas n'accordent pas leur confiance et leurs talents à n'importe qui;L'histoire est à deux sens. Maria Callas, à la scala de milan, en 1954-55, a ébloui son public, et était dirigée par ...Visconti.

Lorsqu'elle a fait du cinéma, une seule fois, en 1969, et sans chanter, c'était pour ...Pasolini, avec Médée. Et le résultat est extraordinaire.

Au point de croire parfois que les meilleures prima donnas ne sont bien dirigées que par ceux qui sont un peu  prima donnas eux-mêmes.

Les conseils de mise en scène et de gestion de David Maister sont utiles, mais non suffisants.

Il faut aussi savoir appliquer les attentes d'exigence envers les collaborateurs, les prima donnas et les autres, à soi-même. Il faut réussir à  déployer plus que des recettes ou des bonnes pratiques, une vision, et faire en sorte que  les collaborateurs aient envie de suivre avec enthousiasme leurs leaders. Et tout ça n'est pas si simple...

Mais, si l'on y parvient, peut être pourra-t-on conduire l'entreprise, chacun à son niveau, avec le même talent et les mêmes résultats que quand Visconti dirigeait Maria Callas..

Commentaires

Jean-Michel Demaison

Vous écrivez "Certains disent que tous les consultants sont des prima donnas". Disons plutôt que le bon consultant se doit d'être capable de faire le grand écart. En comité face à une équipe de dirigeants, un peu d'esbrouffe est attendu de la prestation - ce sont nos moments "prima donna" -. Le reste du temps, le consultant est souvent obligé d'exécuter, voire de décider à la place du client.

Prima donna, oui mais pas seulement. Pourquoi ? Manque d'effectifs, absence de connaissances techniques ou désengagement dans l'entreprise (que vous décrivez très bien dans votre dernier billet).

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