Des singes sur le dos
23 septembre 2007
Le blog "Euresis", consacré au knowledge management, cite ma note sur les tableaux de bord et le "management baladeur", en y ajoutant une notion de "manager fureteur", celui qui irait voir "à la source ce que les individus disent et pensent, ce que les entreprises font réellement". En fait, pour lui, aller à la source, ça consiste à chercher sur internet...Bof, c'est pas exactement ce que j'imaginais, mais bon, pourquoi pas...Le blog vaut la peine d'un détour néanmoins.
Maintenant, il y a un risque majeur à être ainsi "baladeur" ou "fureteur", c'est de se retrouver avec un, ou plusieurs, singe(s) sur le dos..
C'est une vieille histoire, apparue dans un article de Harvard Business Review dans les années 70, de W.Oncken et D.L Wass, mais la métaphore est tellement forte qu'on continue de la citer et de l'exploiter fréquemment dans les entreprises et les séminaires de formation au management. On peut le trouver ici.
L'histoire est toute simple (made to stick...) :
En se "baladant" dans son établissement, le manager croise un de ses collaborateurs. Il le salue, et ce dernier en profite pour lui refiler "un singe" : "Bonjour Monsieur le Directeur. A propos, nous avons un problème; figurez vous que...". Le manager se sent suffisamment concerné pour s'intéresser au problème, mais pas assez pour le résoudre sur le champ. Alors il prend le problème (singe) et dit "laissez-moi réfléchir, et je vous dirai ce que j'en pense...". Le tour est joué, il emmène le singe, qui a sauté de l'épaule du collaborateur, sur sa propre épaule, et, en plus il va être redevable d'une réponse...D'ailleurs, dans quelques jours, il va recroiser ce collaborateur, ou celui-ci va passer une tête dans son bureau : "Alors, mon singe ?"...
En fait, en acceptant le singe, le manager s'est volontairement placé dans une situation de subordination à l'égard de son collaborateur, il est le devenu son subordonné...le monde à l'envers !
Certains managers sont des spécialistes de ces comportements, et se retrouvent constamment avec des singes plein le dos et les épaules; ils sont submergés par ces singes, et ont du mal, le comble, à se faire respecter de leurs collaborateurs, car ils sont suspectés d'être incapables de prendre des décisions, et de donner des directions claires pour l'action...
Les singes deviennent tellement prenants que ce manager n'est plus capable de réaliser les tâches qui lui sont dévolues et qu'il aimerait traiter...On va lui reprocher son manque de vision, son peu d'attention aux relations humaines, son comportement centralisateur, car il tente désespérément de régler tous les micro-problèmes qu'il s'est fait refiler avec tous ces singes...
Ce syndrome guette particulièrement ceux qui viennent de prendre un poste ou une responsabilité; ils ont envie de montrer qu'ils s'attaquent aux sujets, qu'ils vont aider; alors ils attirent tous les singes qui passent...
Ocken et Wass utilisent cette histoire pour tenter de sensibiliser leurs lecteurs aux vertus de la délégation, mais cett métaphore trés riche est un excellent point de départ pour explorer de nombreux sujets de management et de performance de l'entreprise.Il permet d'aborder le sujet de la "responsabilisation" et des formes de coopération au sein d'une équipe.
Concrètement, un consultant se trouve souvent en face d'un manager ou dirigeant avec plein de singes sur les épaules, sans que ce dernier s'en rende toujours parfaitement compte...Il est d'ailleurs probablement trés difficile d'exercer aujourd'hui ce métier de dirigeant sans avoir quelques singes sur le dos, car alors le dirigeant sans singes est vu comme celui qui ne traite aucun sujet, qui trouve toujours un collaborateur pour faire le travail et décider à sa place, au risque de semer le doute sur son utilité et sa valeur ajoutée.
Mais prendre conscience de cette ménagerie de primates sur ses épaules, et commencer à en maîtriser la profusion, c'est le début d'une amélioration de "l'art de diriger"..
Alors, commençons par repérer tous les cas où un collaborateur tente de nous refiler un nouveau singe, et si nous l'acceptons, faisons en sorte que ce soit consciemment. Le consultant est aussi le bon "advisor" du dirigeant pour cette prise de conscience, et une meilleure gestion du phénomène.
Les auteurs ont formalisé quelques règles pour nous apprendre à gérer ces primates; que nous recommandent-ils ?
- Repérons dans le cycle annuel de nos tâches, les périodes de grandes migrations de singes, et organisons notre temps en conséquence: ce peut être le budget, les évaluations annuelles, ...
- chaque singe doit être nourri ou éliminé (par exemple en le refilant à quelqu'un d'autre) : faute de ça, même dans un état mourrant, un singe a de grandes capacités de résurrections, et le dirigeant risque alors de consacrer beaucoup de temps àdes activités funéraires;
- la population de singes doit être gardée en dessous du nombre maximum que le dirigeant a le temps de nourrir;
- veillons à toujous s'assurer, dans une discussion avec un collaborateur avec un singe à califourchon sur les deux, qui, à la fin, repart avec le singe..
- il est préférable de ne nourrir les singes que sur rendez-vous. Il est dangereux pour le dirigeant d'être trop à l'affût de singes affamés pour les nourrir à mesure qu'ils tombent entre ses mains;
- les singes doivent être nourris en personne, ou par téléphone, plutôt que par courrier ou par mail;
- chaque singe doit se vor assigner "une heure d'alimentation" et un "niveau d'initiative".
Repérer les singes sur nos épaules, voilà une bonne façon de commencer à mieux gérer son temps..
Je suis donc singé depuis des années... Je trouve votre article très proche d'une réalité de plus en plus complexe avec le mail qui est un outil extraordinaire de naissance de singe.
Rédigé par : xavier aucompte | 26 septembre 2007 à 01:22
Je ne connaissais pas l'article de la HBR et j'aime beaucoup ! Les consultants ont de la chance : ils se peuvent se faire refiler les singes du client et ceux de leur cabinet.
Rédigé par : Jean-Michel Demaison | 28 septembre 2007 à 22:30
Toujours excellente cette histoire de singes, c'est comme le Dîner de Cons, on ne s'en lasse pas, on en rit toujours et on n'a jamais fini d'en prendre de la graine, merci !
Rédigé par : Richard | 08 octobre 2007 à 05:25