Au fou !
Prima donna

Vacances parlées

Sheep_1 En ce moment, et encore pendant quelques jours, dans les entreprises, commencer une conversation avec un client, un fournisseur, un collaborateur, c'est souvent aborder un sujet d'actualité : les vacances !

On a l'impression d'entendre souvent les mêmes choses...Et certains individus se font particulièrement remarquer dans cet exercice.

Un sujet facile, qui n'engage à rien : la météo; en France, "quel temps épouvantable"; ça fait bien. Ailleurs, au soleil, "j'étais à ... (ici le nom d'un endroit ensoleillé) ; superbe; mais que c'est dur de retrouver Paris sous la pluie". On va les entendre plusieurs fois, ces banalités...

Mais ceux qui sont les plus bavards sont ceux qui sont partis "ailleurs" et vont nous raconter leurs voyages, enfin raconter, ça se réduit souvent à " Le pays est ..formidable, fantastique, super, cool,..." il suffit de choisir le qualificatif, histoire de génération. Les plus hardis vont vous débiter les phrases toutes faites qu'ils ont lues dans le guide du broutard, ou lonely cowboy, en résumant un peu.

On est frappé, alors que tous ces récits sont individuels, combien ils se ressemblent tous, comme si tous les gens que l'on rencontre avaient passés leurs vacances au même endroit, sensibles aux mêmes choses, la pluie, le vent, le "beau soleil", qui était "chaud, brûlant"..les voyages "intéressants", les lieux "sympathiques", les gens "passionnants", etc...Ils regardent le monde avec la même attitude de domination, comme d'un mirador.

Les individus sont ainsi tellement "individus" qu'ils s'assimilent trop bien à la "masse", cette juxtaposition de moutons ayant appris à ressembler au "mouton qui revient de vacances". On ne peut s'empêcher d'entendre et de repérer les mêmes mots entendus dans les journaux et émissions télé.

En étant empêchés de parler autrement, par ignorance, ou peur de se distinguer de la masse, ces individus-masse sont comme enchaînés; c'est Spinoza qui disait dans "l'Ethique", que nous ne sommes jamais autant esclaves que lorsque nous ignorons nos chaînes.

Cette notion d'"individu-masse" est particulièrement analysée par Miguel Benasayag, notamment dans "le mythe de l'individu" ,qui aborde le sujet sous un angle plus politique. Il montre bien comment, en se nourissant et en restituant des tas d'informations à l'infini, ces "individus-masse" font étalage de non-savoirs, sans même s'en rendre compte.

Alors, bien sûr, ces comportements d'individus enchaînés, ils vont aussi se retrouver dans l'entreprise, ces récits-non récits de vacances n'en étant qu'une manifestation parmi d'autres.Ils vont mettre d'autant plus en évidence ce qui leur manque.

Ceux qui s'en distinguent, à l'inverse, sont ceux qui se vivent plus comme des personnes, avec la complexité, la pluralité, que cela recouvre (chaque personne est unique et multiple). Ils racontent des histoires, avec les mots ou les yeux, qui parlent d'abord d'eux-mêmes. Cette capacité à prendre conscience de soi en tant que "personne", à trouver et exprimer les mots justes, et les sensations, c'est toute la différence. C'est le talent de trouver l'attitude qui fera raconter la vie et ses émotions de manière...personnelle.

Ce sont de savoirs cachés dont on parle ici, plus intérieurs, ceux de la vie. Des savoirs et des attitudes qui semblent oubliés...voire jamais découverts, car jamais explorés.

Oui, derrière ces quelques phrases prononcées au retour de vacances, on peut entendre beaucoup sur ces nombreux "individus" et ces rares "personnes". Elles nous parlent de ces communautés humaines de nos entreprises, de leurs vrais et de leurs faux savoirs. De leur capacité à changer, à se transformer, ou, au contraire, de leur inaptitude à penser autrement, à inventer de nouveaux futurs pour eux et leur organisation.

Ceux qui regardent autour d'eux comme d'un mirador, le catalogue des informations et des citations des autres à la main, ne nous permettront probablement jamais de voir bien loin, ni différemment.Ces adeptes des paysages "trop beaux" auxquels ils ne comprennent rien, qui ont ingurgité des tas d'informations "utiles", c'est à dire inutiles, et dont ils ne se souviendront plus dans quelques semaines, sur les villes qu'ils ont visitées, les musées dans lesquels ils ont circulés au pas de charge, le guide Machette à la main, ne sont probablement pas ceux dont on peut espérer une contribution à l'amélioration de quoi que ce soit.Pour eux, tout est déjà en place. Ils sont les spectateurs passifs du monde.

Raison de plus pour repérer et encourager ces "personnes" qui vont à contre-courant, qui voient dans toute expérience une multitude d'opportunités, qui voient la vie toujours plus riche et plus multidimensionnelle.Qui changeront le monde, le redessineront. Ceux là vont nous parler différemment de leurs vacances...

Ecoutons-les, si nous avons la chance d'en connaître...et d'en avoir autour de nous dans nos entreprises...

Commentaires

Antoine

Aaaaargh... Quel triste constat tellement vrai !

Foguenne

"Quel triste constat tellement vrai !" sauf que même sans le vouloir, on se retrouve parfois du côté de ceux qui regardent d'un mirador, et ça ne fait pas plaisir à lire, même si ça fait du bien. :D

Gabriel

Bravo Gilles, super ce post! De mon côté j ai encore quelques vacances avant de commencer, donc je pars en Argentine... Je sens déjà que ca va etre "superbe, magnifique et très enrichissant"!
En rentrant il faut qu'on se voit pour que tu me racontes tes vacances, suite à cet article tu as intérêt à avoir un récit béton ;-)
J espere que la rentrée avec PMP se passe au mieux, salue toute l'équipe de ma part et donne moi des nouvelles!

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