Des tripes et des reins
Connais-toi toi même : citation malveillante

Qui d'autre pour le salami ?

Salami Il est une culture forte dans l'entreprise et la littérature managèriale, souvent d'inspiration américaine : celle de la relation au temps "séquentielle". C'est Fons Trompenaars (encore lui) qui en parle dans "Riding the waves of culture".

De quoi s'agit-il ?

De cette tendance à considérer que l'on fait les choses dans l'ordre, l'une aprés l'autre. Le passé, c'était hier, on n'en parle plus; le futur, c'est pour aprés. Pour le moment, occupons-nous du temps présent, et on verra aprés.

En clair, les objectifs et le budget sont fixés pour l'année, on va mesurer les performances sur cette pèriode (parfois même encore plus fréquemment, lors de ces "quarterly reviews"), puis on va évaluer la performance des managers, et verser les parts variables et bonus qui rémunèreront cette performance, sur cette pèriode. Ces systèmes sont trés à la mode.

Tout cela semble tellement évident qu'on se demande comment il pourrait en être autrement. La meilleure façon de progresser n'est-elle pas d'aller d'un point A à un point B, avec le plus de productivité et d'efficacité possible, puis de B à C, etc...?

Pourtant, cette tendance au temps "séquentiel" ne se rencontre pas spontanément dans toutes les cultures. L'inverse, c'est une vision "synchronique" du temps : une prise en compte en simultané du passé, du présent, de plusieurs présents, du futur, de plusieurs futurs.

Exemple sur cette histoire d'évaluation des performances : ce collaborateur, pour moi, "synchronique", il ne se réduit pas à sa performance sur le dernier trimestre; il a aussi un passé avec moi, des souvenirs, une confiance, et un futur (j'ai envie de parier sur son potentiel, ses capacités). En cas de mauvaise performance sur la période, qui se traduira par une non-récompense pour le "séquentiel", le "synchronique" va arbitrer entre toutes ces perceptions du temps, et hésiter peut être sur la conclusion.

Pour la culture managériale dominante, ces travers culturels sont un signe d'archaïsme, de "primitivisme".

Ceux qui sont les plus "séquentiels" dans leur approche sont ainsi trés attentionnés à cloisonner leurs relations avec leurs collaborateurs : quels que soient les liens et le passé, un objectif de résultat est fixé pour une période, et on fait les comptes à l'arrivée, sans tenir compte du reste. Cette forme de management, souvent efficace, conduit à conférer de l'autorité aux personnes en fonction de leur dernière performance (leur histoire avant ne compte pas); Une relation professionnelle se résume ainsi à une instrumentation : le temps entre deux mesures de l'indicateur de performance est le temps qui sépare la fin et les moyens; la promesse d'une rémunération plus élevée est le moyen qui permet une performance meilleure; l'achat de mon produit par mon client est le moyen pour que j'obtienne un plus fort bonus sur mon chiffres d'affaires,etc...Dans cette approche, aucune relation professionnelle n'existe pour elle-même, elle n'est justifiée que pour profiter à chaque partie et à l'entreprise. Le résultat important, c'est le futur à court terme, l'atteinte de l'objectif.

A l'inverse, les relations professionnelles plus "synchroniques" sont moins focalisées sur le court terme, et au contraire entremêlent le passé, le présent et le futur, créant ainsi un mode de management plus souple et plus flexible, plus durable aussi.Alors que dans une culture "séquentielle", le superviseur sera surtout concentré sur l'évaluation de la performance de son collaborateur au cours de la pèriode écoulée (un an, six mois, trois mois..), dans une culture plus "synchronique", le superviseur, et l'employé, seront plus sensibles à la relation qui s'est développée entre eux au fil du temps. Le superviseur va se voir plus dans un rôle de guide pour la carrière du collaborateur, un peu comme un maître avec son disciple.

On iamgine bien dans quels continents se retrouvent ces cultures différentes : les statistiques de Fons montrent bien que la culture "séquentielle" est plus anglo-saxonne, et que la culture "synchronique" correspond plus au style des français, des latins, et de certains asiatiques.

Il serait erronné d'en déduire qu'il existe une bonne et une mauvaise culture. C'est au contraire en dosant ces deux pôles, selon les circonstances, qu'il devient possible de manager l'entreprise en respectant ses diversités culturelles, et en les faisant mieux communiquer.

Par exemple, Shell, dans son processus stratégique, a introduit un modèle de "scenario planning" : le futur est appréhendé au travers de plusieurs scenarios possibles (culture synchronique), mais, pour chaque scenario, des jalons et des objectifs sont précisés (culture séquentielle).

Mais, alors, quel rapport avec le salami ?

Pour nous sensibiliser à la découverte des vertus du temps "synchronique", nous les obsédés du management de la performance "séquentielle", Fons Trompenaars nous transporte dans une boucherie italienne :

Le patron boucher est en train de couper des tranches de salami pour un client. Derrière ce client, il a une file de plusieurs clients, qui, en bons "séquentiels", attendent leur tour pour être servis. Dès que le patron aura fini de servir le client au salami, il devrait ranger le salami dans son rayon, et demander ce qu'il veut au client suivant. Tout est parfait dans la boucherie du temps "séquentiel"...

Or, le patron boucher italien est un "synchronique"; alors que fait-il ?

Au lieu de ranger le salami, il lance à la cantonnade :

" Qui d'autre pour le salami ?"

Cela va permettre à un client de la file de se manifester pour se faire servir du salami, quelle que soit sa place dans la file, et évitera au boucher de ranger le salami, puis de le ressortir tout de suite aprés. Non, en rompant l'habitude "séquentielle", il améliore l'efficacité du système. Bien sûr, pour que ça marche, la logique "séquentielle" ne disparaît pas complètement : les clients vont passer à la caisse l'un après l'autre une fois qu'ils aurons finis tous leurs achats, mais si un client a tout ce qu'il lui faut, il peut passer à la caisse avant celui qui attend de se faire servir un autre produit. La méthode permet ainsi de servir plus de clients en moins de temps.

Ainsi, en ne suivant pas la règle de la ligne droite séquentielle, pour servir les clients l'un aprés l'autre, mais au contraire en partageant les activités, en créant les connections croisées, notre boucher rend son organisation plus efficace.

Alors, quand nous sommes confrontés à ces managers ou consultants obsédés des outils et systèmes de mesure et de rémunérations des performances, victimes d'une fièvre de "culture séquentielle", croyant ainsi connaître le secret de la réussite des entreprises, pourquoi ne pas leur proposer un petit moment avec des tranches de salami ?

Une petite histoire vaut souvent mieux qu'une longue démonstration....

Bon appétit !

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