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Vacances parlées

Sheep_1 En ce moment, et encore pendant quelques jours, dans les entreprises, commencer une conversation avec un client, un fournisseur, un collaborateur, c'est souvent aborder un sujet d'actualité : les vacances !

On a l'impression d'entendre souvent les mêmes choses...Et certains individus se font particulièrement remarquer dans cet exercice.

Un sujet facile, qui n'engage à rien : la météo; en France, "quel temps épouvantable"; ça fait bien. Ailleurs, au soleil, "j'étais à ... (ici le nom d'un endroit ensoleillé) ; superbe; mais que c'est dur de retrouver Paris sous la pluie". On va les entendre plusieurs fois, ces banalités...

Mais ceux qui sont les plus bavards sont ceux qui sont partis "ailleurs" et vont nous raconter leurs voyages, enfin raconter, ça se réduit souvent à " Le pays est ..formidable, fantastique, super, cool,..." il suffit de choisir le qualificatif, histoire de génération. Les plus hardis vont vous débiter les phrases toutes faites qu'ils ont lues dans le guide du broutard, ou lonely cowboy, en résumant un peu.

On est frappé, alors que tous ces récits sont individuels, combien ils se ressemblent tous, comme si tous les gens que l'on rencontre avaient passés leurs vacances au même endroit, sensibles aux mêmes choses, la pluie, le vent, le "beau soleil", qui était "chaud, brûlant"..les voyages "intéressants", les lieux "sympathiques", les gens "passionnants", etc...Ils regardent le monde avec la même attitude de domination, comme d'un mirador.

Les individus sont ainsi tellement "individus" qu'ils s'assimilent trop bien à la "masse", cette juxtaposition de moutons ayant appris à ressembler au "mouton qui revient de vacances". On ne peut s'empêcher d'entendre et de repérer les mêmes mots entendus dans les journaux et émissions télé.

En étant empêchés de parler autrement, par ignorance, ou peur de se distinguer de la masse, ces individus-masse sont comme enchaînés; c'est Spinoza qui disait dans "l'Ethique", que nous ne sommes jamais autant esclaves que lorsque nous ignorons nos chaînes.

Cette notion d'"individu-masse" est particulièrement analysée par Miguel Benasayag, notamment dans "le mythe de l'individu" ,qui aborde le sujet sous un angle plus politique. Il montre bien comment, en se nourissant et en restituant des tas d'informations à l'infini, ces "individus-masse" font étalage de non-savoirs, sans même s'en rendre compte.

Alors, bien sûr, ces comportements d'individus enchaînés, ils vont aussi se retrouver dans l'entreprise, ces récits-non récits de vacances n'en étant qu'une manifestation parmi d'autres.Ils vont mettre d'autant plus en évidence ce qui leur manque.

Ceux qui s'en distinguent, à l'inverse, sont ceux qui se vivent plus comme des personnes, avec la complexité, la pluralité, que cela recouvre (chaque personne est unique et multiple). Ils racontent des histoires, avec les mots ou les yeux, qui parlent d'abord d'eux-mêmes. Cette capacité à prendre conscience de soi en tant que "personne", à trouver et exprimer les mots justes, et les sensations, c'est toute la différence. C'est le talent de trouver l'attitude qui fera raconter la vie et ses émotions de manière...personnelle.

Ce sont de savoirs cachés dont on parle ici, plus intérieurs, ceux de la vie. Des savoirs et des attitudes qui semblent oubliés...voire jamais découverts, car jamais explorés.

Oui, derrière ces quelques phrases prononcées au retour de vacances, on peut entendre beaucoup sur ces nombreux "individus" et ces rares "personnes". Elles nous parlent de ces communautés humaines de nos entreprises, de leurs vrais et de leurs faux savoirs. De leur capacité à changer, à se transformer, ou, au contraire, de leur inaptitude à penser autrement, à inventer de nouveaux futurs pour eux et leur organisation.

Ceux qui regardent autour d'eux comme d'un mirador, le catalogue des informations et des citations des autres à la main, ne nous permettront probablement jamais de voir bien loin, ni différemment.Ces adeptes des paysages "trop beaux" auxquels ils ne comprennent rien, qui ont ingurgité des tas d'informations "utiles", c'est à dire inutiles, et dont ils ne se souviendront plus dans quelques semaines, sur les villes qu'ils ont visitées, les musées dans lesquels ils ont circulés au pas de charge, le guide Machette à la main, ne sont probablement pas ceux dont on peut espérer une contribution à l'amélioration de quoi que ce soit.Pour eux, tout est déjà en place. Ils sont les spectateurs passifs du monde.

Raison de plus pour repérer et encourager ces "personnes" qui vont à contre-courant, qui voient dans toute expérience une multitude d'opportunités, qui voient la vie toujours plus riche et plus multidimensionnelle.Qui changeront le monde, le redessineront. Ceux là vont nous parler différemment de leurs vacances...

Ecoutons-les, si nous avons la chance d'en connaître...et d'en avoir autour de nous dans nos entreprises...


Au fou !

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L’année dernière, c’est une ex-future candidate défaite qui nous en a parlé à la fête de la rose…

Cette année, c’est  Christine Lagarde, à la tribune de l’assemblée nationale le 10 juillet, pour présenter son projet de loi TEPA (Travail, Emploi et Pouvoir d’Achat) qui s’y est mise.

De quoi s’agit-il ?

De la valeur travail.

L’oisiveté, la paresse, ce sont des attitudes de nobles d’ancien régime. C’est fini :

« la remise à l’honneur du travail, pour laquelle les français se sont si clairement prononcés en élisant Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République fait accomplir à notre peuple son véritable tournant démocratique ».

En appelant en témoignage Tocqueville, Erik Orsenna et Mirabeau, Christine Lagarde s’est évertuée à convaincre les députés de la valeur démocratique du travail, de sa valeur républicaine (« l égalité des chances nous offre à tous les mêmes outils pour réussir ; le travail nous départage ; et le mérite nous récompense »), de sa valeur économique (« si nous n’entrons pas de plain-pied dans la course à la mondialisation, personne ne viendra nous chercher par la main »), et de sa valeur sociale (« Rien ne tisse mieux que le travail des liens entre les hommes, par-delà les hiérarchies sociales, par-delà les frontières. Une feuille de paye est le plus sûr garant de la paix, de la paix sociale comme de la paix entre les peuples. »).

Et ça finit avec Mirabeau :

« Le travail est le pain nourricier des grandes nations ».

Si avec ça, on n’a pas envie de travailler à fond, c’est qu’on n’a vraiment rien compris.

Oui, mais voilà, en ouvrant Le Monde le 22 août, alors qu’on était en route plein d’ardeur vers le Travail plein de belles valeurs, on lit ça :

« Le stress au travail peut déclencher des troubles psychiatriques ».

L’auteur de l’article, Paul Benkimoun, est allé chercher une étude conduite en Nouvelle Zélande par une certaine Maria Melchior (du Medical Research Council de Londres), auprès de 891 participants salariés, qui ont fait l’objet d’évaluations régulières entre 3 ans et 32 ans, avec onze bilans complets. Avec plein de statistiques compliquées, Maria a analysé les corrélations entre une pathologie psychiatrique et les conditions de travail. Et en a conclu qu’ « il apparaît ainsi que le stress au travail précipite la survenue de troubles psychiatriques chez les individus auparavant en bonne santé »

.

Passant rapidement de la Nouvelle Zélande à la France l’auteur termine l’article en nous prévenant perfidement de l’apocalypse qui nous attend si on écoute trop Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy :

«  Au moment où les salariés sont invités à « travailler plus pour gagner plus » cette étude invite à réfléchir sur la nécessaire prévention des possibles dégâts induits par le travail ».

Bon, alors on fait quoi finalement ?

Réfléchir, mais ensuite ?

Ou alors se préparer à l’asile psychiatrique ?

Allo, Christine Lagarde, que me conseilles tu ? Est-ce-que je dois vraiment aller travailler ?

En fait elle a déjà répondu lors de son discours, par une sortie qui a fait crier tous les intellectuels :

"La France est un pays qui pense. Il n’y a guère une idéologie dont nous n’avons fait la théorie. Nous possédons dans nos bibliothèques de quoi discuter pour les siècles à venir. C’est pourquoi j’aimerais vous dire : assez pensé maintenant. Retroussons nos manches ».

Quelle synthèse en faire ? Qui croire entre christine Lagarde et Maria Melchior ?

Un slogan peut-être :

« Ne pensons plus, soyons fous »…ça sonne bien ,pour reprendre le travail en chantant, non ?


Deux garçons qui voulaient faire quelque chose ensemble

Champagne

En annonçant ses résultats trimestriels le 16 août, Hewlett Packard a suscité la joie des analystes. Le résultat net, à 1,78 milliards de dollars, est en hausse de 30% par rapport à 2006. Le chiffre d’affaires de 25,4 milliards de dollars fait espérer un chiffre annuel pour 2007 de 100 milliards de dollars, un record historique.

Le Monde fait remarquer la différence d’ambiance par rapport à 2004-2005, où les analystes s’impatientaient de ne pas voir apparaître les bénéfices de la fusion avec Compaq dans les comptes, et le débarquement de la médiatique patronne du Groupe, Carleton Fiorina, par le conseil d’administration début 2005.

Hewlett Packard, c’est aujourd’hui le leader mondial du marché des PC, avec près de 20% des ventes, devant Dell, Lenovo ou Acer.

Cette entreprise a été créée en …1938, cela fait donc 69 ans que l’histoire dure.

Cela laisse rêveur, et l’on peut se demander comment font ces entreprises pour traverser le siècle et atteindre de tels chiffres. On pourrait parler de stratégie, de dirigeant génial, de chance ?

HP fait justement partie des entreprises analysées par Jim Collins dans son étude « Built to last » de ces entreprises qu’il qualifie de « bâties pour durer ». Et il démontre combien nos croyances sur ce qui fait une entreprise visionnaire et durable sont fausses.

Ce qui est impressionnant, concernant HP, c’est ce qui a déclenché sa création :

Bill Hewlett et Dave Packard étaient deux étudiants frais diplômés de leur école d’ingénieurs (Stanford), tous deux âgés de vingt ans, sans aucune expérience du monde des affaires, un capital de départ très modeste, qui ont décidé de faire quelque chose ensemble et de créer une entreprise « dans le domaine de l’électronique », sans idée précise de ce qu’ils allaient faire. Voilà qui vient contredire ceux qui croient que pour créer une entreprise solide, il faut une idée géniale de produit et une stratégie bien bordée.

Ce qui fera décoller l’entreprise, c’est, selon les observations de Jim Collins, la capacité des fondateurs à recruter des ingénieurs de haute qualité, et à bâtir une organisation qui encourage le risque et l’innovation. Un discours de Bill Hewlett, datant des années 50, décrit cette idée :

«  Nous nous assurons que chacun de nos ingénieurs puisse avoir un choix d’occasions opportunes avec l’entreprise, et de bons projets sur lesquels travailler. Nous faisons en sorte d’avoir un encadrement suffisant pour que nos ingénieurs puissent être heureux et au maximum de leurs possibilités. »

Ainsi est née et s’est développée la légende du « HP Way », dont les fondateurs ont fait un livre de témoignage,cette vision un peu philosophique de l’entreprise, transmise de génération en génération, basée sur une conception progressiste de la gestion du personnel, une culture innovante et entreprenariale, et une quantité ininterrompue de produits de produits apportant une contribution technique.Hpway 

Citons Dave Packard :

«  Notre objectif principal consiste à dessiner, à développer, et à produire l’équipement électronique le plus perfectionné pour l’avancement de la science et le bien-être de l’humanité ».

Ces discours un peu lyriques peuvent nous faire sourire et nous sembler un peu démodés. Pourtant, en étant confortés par des actions précises, relatives à la gestion des hommes et à la politique de rémunération et d’intéressement, ils deviennent plus concrets.

La leçon qu’en retient Jim Collins est encourageante pour tous ceux qui voudraient aujourd’hui bâtir de telles entreprises visionnaires : n’importe qui peut y arriver, pas besoin d’idée géniale, ni de leader charismatique ; il suffit de construire la bonne horloge, et de s’attacher à bien l’entretenir, et elle donnera toujours la bonne heure, sur le long terme.

Bien sûr, le plus difficile c’est justement d’avoir cette volonté de faire une entreprise visionnaire, et durable.

Jim Collins nous avertit, avec des mots simples :

«  Si vous voulez lancer une entreprise, la construire rapidement, amasser beaucoup d’argent, réaliser votre capital, et prendre votre retraite, la construction d’une entreprise visionnaire n’est pas adaptée à votre cas.

Si vous n’êtes pas fermement convaincu de la nécessité du progrès – un besoin intérieur, qui consiste à ne jamais cesser de souhaiter s’améliorer pour aller vers l’avant – construire une entreprise visionnaire n’est pas ce qu’il vous faut.

Si vous n’avez pas d’intérêt dans une entreprise gouvernée dans ses valeurs, dotée d’un sens de sa mission, dépassant largement le simple objectif financier, construire une entreprise visionnaire n’est pas ce qu’il vous faut.

Si vous êtes indifférent à la manière de construire une entreprise, pour qu’elle soit forte, non seulement durant votre mandat, mais aussi plusieurs décennies après votre départ, construire une entreprise visionnaire n’est pas ce qu’il vous faut.

Ces quatre réserves mises à part, nous ne pensons pas qu’il existe d’autres exigences préliminaires ».

On dirait un poème...

Ces exigences sur la volonté pour l’entreprise, qui dépasse l’intérêt personnel et immédiat du dirigeant fondateur, elles ne sont pas si simples.

Raison de plus pour rester un moment admiratif des générations de ceux, dirigeants, managers et collaborateurs, qui ont ainsi amené, en quelques décennies, en se passant le relais au fil des années, une entreprise de deux jeunes garçons, qui ne dépassait pas 2 millions de dollars de chiffre d'affaires en 1948, vers un groupe mondial de 100 milliard de dollars ...


L'abeille et l'architecte

Abeille En 1978, François Mitterrand publie une chronique personnelle des années 1975 à 1978. C'est un recueil de billets sur des sujets variés, compte rendu de rencontres avec des personnages publics importants à travers le monde, de l'URSS au Costa Rica, et aussi des réflexions bucoliques sur la nature vue de Latche (un genre de blog avant l'heure).

L'auteur est un observateur critique de la vie politique (les années Giscard, Chirac, Barre, et les difficultés avec le parti communiste incarné par Georges Marchais - une autre époque!), et de la vie en général. A l'approche de la soixantaine, cet observateur disert vient de perdre l'élection présidentielle de 1974, et se dirige vers une défaite de son camp aux législatives de 1978. C'est donc une chronique de fin de carrière, en quelque sorte. Un mélange de nostalgie et de foi combative.

Le titre de ces chroniques est "L'abeille et l'architecte", reprenant la citation de Marx qu'il met dans son épigraphe, et qui aide à réfléchir à ce que peut signifier "avoir une vision" , une ambition, pour son propre destin, pour son entreprise :

" ...l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche."

Karl Marx

Autour de nous, dans le monde de l'entreprise, comme en politique, on reconnaît souvent facilement les abeilles, toujours en action, en agitation, et les architectes, visionnaires, qui tentent de voir plus loin, de concevoir le futur, au risque parfois de reculer devant l'action et la décision.

Rien ne dit que l'architecte aura la bonne vision, ni que l'action de l'abeille sera inefficace. C'est d'abord une question de comportement et de culture.

Certains préfèrent suivre les architectes, d'autres les abeilles.


Le talent de ne rien faire

Ennui Article d'actualité cette semaine dans "Madame Figaro" du 11/08 : L'ennui, une liberté à revendiquer.

Il s'agit d'une interview de Patrick Lemoine, psychiatre et spécialiste des troubles du sommeil, qui vient de publier un livre éloquent : " S'ennuyer, quel bonheur ! ".

En clair, Patrick Lemoine nous encourage à profiter de nos vacances, et de tout moment, pour nous ennuyer.

C'est vrai que l'ennui, c'est pas une valeur trés à la mode.

" L'air du temps est davantage à la performance et à l'hyperactivité. Même en vacances, on se sent obligé de meubler en permanence les temps morts".

Alors, ne rien faire, c'est un véritable talent, évidemment, car on a vite fait de s'en sentir coupable, d'être regardé d'un mauvais oeil.

Les bienfaits de l'ennui assumé et provoqué sont, selon l'auteur, énormes.

Le plaidoyer tient en quelques lignes, assez convaincantes :

" Pendant que vous vous ennuyez, votre inconscient carbure et les idées s'élaborent dans les recoins cachés de votre cerveau. Les artistes, les chercheurs et les écrivains, tous les créateurs connaissent ces pannes d'inspiration et ces moments de vacuité et de profond ennui pendant lesquels ils n'arrivent pas à créer et sont incapables d'aligner deux idées. Ils s'ennuient abominablement, jusqu'au moment où tout se met en place. Une fois que l'on a compris cela, on ne peut qu'être heureux de s'ennuyer. Il en sort toujours quelque chose".

En fait, ce psychiatre assimile l'ennui à quelque chose qui ressemblerait plutôt à une forme de méditation, et on peut trouver que le qualificatif "ennui" est inaproprié, sauf pour ceux que la méditation..."ennuie"...et qui n'en tirerons alors pas autant de profit.

Pour nous encourager à ces moments de méditation-ennui, il précise :

" L'ennui, c'est une pèriode d'attente dans la pulsation qui précède le désir ou l'accomplissement. On se dit parfois " J'aimerais en sortir. mais comment ?" Sur le coup, ce peut être désagréable, reconnaissons le. Mais il faut le prendre comme un moment de nidification : on couve ses idées...Ce n'est jamais une perte de temps. Cela permet de savoir ce que l'on a vraiment envie de faire".

Couver ses idées pour savoir ce que l'on a envie de faire, voilà une belle métaphore (exercice conseillé par Dan Pink) et un bon conseil pour ce mois d'août...

Mise à jour :

un petit sondage en ligne sur ce blog pendant le mois d'août, jusqu'au 15 septembre, a donné ça :

Ne rien faire est un talent ?

oui 66.66%
non 29.16%
je sais pas 4.16%

J'ai l'impression qu'il y a pas mal de fainéants qui traînent par ici....


Devenir

Devenir Tony Duvert, "Abécédaire malveillant" (1989), encore, pour l'été :

" Le médiocre ne se corrige d'un défaut qu'en adoptant un défaut pire : l'ignorant devient pédant, le timide devient péremptoire, le sceptique devient bigot, le pudibond s'exhibe, le constipé coule, le célibataire épouse".


Connais-toi toi même : citation malveillante

Socrate Cette citation de Socrate, qui ne la connaît pas ? Elle figure sur toutes les plaquettes et devantures des coachs en tous genre et des formations dites de "développement personnel".

Tony Duvert, dans son "Abécédaire malveillant" (1989), ne parle pas seulement des filles qui réussissent en classe, mais aussi de cette formule.

Comme d'habitude, c'est ....malveillant :

"Connais-toi toi-même : pourquoi le succés d'un précepte aussi menaçant ?

C"est qu'en réalité il promet un délice : devenir supérieur aux autres.

Se connaître juste assez pour les deviner, les neutraliser, les asservir peut être. Supprimer aussi toute contrainte d'avoir à me connaître davantage.

Connais-toi signifie seulement : inflige-toi une douleur qui, demain, t'évitera toute peine. Ta lâcheté éternelle est au prix d'une heure d'honnêteté envers toi."


Qui d'autre pour le salami ?

Salami Il est une culture forte dans l'entreprise et la littérature managèriale, souvent d'inspiration américaine : celle de la relation au temps "séquentielle". C'est Fons Trompenaars (encore lui) qui en parle dans "Riding the waves of culture".

De quoi s'agit-il ?

De cette tendance à considérer que l'on fait les choses dans l'ordre, l'une aprés l'autre. Le passé, c'était hier, on n'en parle plus; le futur, c'est pour aprés. Pour le moment, occupons-nous du temps présent, et on verra aprés.

En clair, les objectifs et le budget sont fixés pour l'année, on va mesurer les performances sur cette pèriode (parfois même encore plus fréquemment, lors de ces "quarterly reviews"), puis on va évaluer la performance des managers, et verser les parts variables et bonus qui rémunèreront cette performance, sur cette pèriode. Ces systèmes sont trés à la mode.

Tout cela semble tellement évident qu'on se demande comment il pourrait en être autrement. La meilleure façon de progresser n'est-elle pas d'aller d'un point A à un point B, avec le plus de productivité et d'efficacité possible, puis de B à C, etc...?

Pourtant, cette tendance au temps "séquentiel" ne se rencontre pas spontanément dans toutes les cultures. L'inverse, c'est une vision "synchronique" du temps : une prise en compte en simultané du passé, du présent, de plusieurs présents, du futur, de plusieurs futurs.

Exemple sur cette histoire d'évaluation des performances : ce collaborateur, pour moi, "synchronique", il ne se réduit pas à sa performance sur le dernier trimestre; il a aussi un passé avec moi, des souvenirs, une confiance, et un futur (j'ai envie de parier sur son potentiel, ses capacités). En cas de mauvaise performance sur la période, qui se traduira par une non-récompense pour le "séquentiel", le "synchronique" va arbitrer entre toutes ces perceptions du temps, et hésiter peut être sur la conclusion.

Pour la culture managériale dominante, ces travers culturels sont un signe d'archaïsme, de "primitivisme".

Ceux qui sont les plus "séquentiels" dans leur approche sont ainsi trés attentionnés à cloisonner leurs relations avec leurs collaborateurs : quels que soient les liens et le passé, un objectif de résultat est fixé pour une période, et on fait les comptes à l'arrivée, sans tenir compte du reste. Cette forme de management, souvent efficace, conduit à conférer de l'autorité aux personnes en fonction de leur dernière performance (leur histoire avant ne compte pas); Une relation professionnelle se résume ainsi à une instrumentation : le temps entre deux mesures de l'indicateur de performance est le temps qui sépare la fin et les moyens; la promesse d'une rémunération plus élevée est le moyen qui permet une performance meilleure; l'achat de mon produit par mon client est le moyen pour que j'obtienne un plus fort bonus sur mon chiffres d'affaires,etc...Dans cette approche, aucune relation professionnelle n'existe pour elle-même, elle n'est justifiée que pour profiter à chaque partie et à l'entreprise. Le résultat important, c'est le futur à court terme, l'atteinte de l'objectif.

A l'inverse, les relations professionnelles plus "synchroniques" sont moins focalisées sur le court terme, et au contraire entremêlent le passé, le présent et le futur, créant ainsi un mode de management plus souple et plus flexible, plus durable aussi.Alors que dans une culture "séquentielle", le superviseur sera surtout concentré sur l'évaluation de la performance de son collaborateur au cours de la pèriode écoulée (un an, six mois, trois mois..), dans une culture plus "synchronique", le superviseur, et l'employé, seront plus sensibles à la relation qui s'est développée entre eux au fil du temps. Le superviseur va se voir plus dans un rôle de guide pour la carrière du collaborateur, un peu comme un maître avec son disciple.

On iamgine bien dans quels continents se retrouvent ces cultures différentes : les statistiques de Fons montrent bien que la culture "séquentielle" est plus anglo-saxonne, et que la culture "synchronique" correspond plus au style des français, des latins, et de certains asiatiques.

Il serait erronné d'en déduire qu'il existe une bonne et une mauvaise culture. C'est au contraire en dosant ces deux pôles, selon les circonstances, qu'il devient possible de manager l'entreprise en respectant ses diversités culturelles, et en les faisant mieux communiquer.

Par exemple, Shell, dans son processus stratégique, a introduit un modèle de "scenario planning" : le futur est appréhendé au travers de plusieurs scenarios possibles (culture synchronique), mais, pour chaque scenario, des jalons et des objectifs sont précisés (culture séquentielle).

Mais, alors, quel rapport avec le salami ?

Pour nous sensibiliser à la découverte des vertus du temps "synchronique", nous les obsédés du management de la performance "séquentielle", Fons Trompenaars nous transporte dans une boucherie italienne :

Le patron boucher est en train de couper des tranches de salami pour un client. Derrière ce client, il a une file de plusieurs clients, qui, en bons "séquentiels", attendent leur tour pour être servis. Dès que le patron aura fini de servir le client au salami, il devrait ranger le salami dans son rayon, et demander ce qu'il veut au client suivant. Tout est parfait dans la boucherie du temps "séquentiel"...

Or, le patron boucher italien est un "synchronique"; alors que fait-il ?

Au lieu de ranger le salami, il lance à la cantonnade :

" Qui d'autre pour le salami ?"

Cela va permettre à un client de la file de se manifester pour se faire servir du salami, quelle que soit sa place dans la file, et évitera au boucher de ranger le salami, puis de le ressortir tout de suite aprés. Non, en rompant l'habitude "séquentielle", il améliore l'efficacité du système. Bien sûr, pour que ça marche, la logique "séquentielle" ne disparaît pas complètement : les clients vont passer à la caisse l'un après l'autre une fois qu'ils aurons finis tous leurs achats, mais si un client a tout ce qu'il lui faut, il peut passer à la caisse avant celui qui attend de se faire servir un autre produit. La méthode permet ainsi de servir plus de clients en moins de temps.

Ainsi, en ne suivant pas la règle de la ligne droite séquentielle, pour servir les clients l'un aprés l'autre, mais au contraire en partageant les activités, en créant les connections croisées, notre boucher rend son organisation plus efficace.

Alors, quand nous sommes confrontés à ces managers ou consultants obsédés des outils et systèmes de mesure et de rémunérations des performances, victimes d'une fièvre de "culture séquentielle", croyant ainsi connaître le secret de la réussite des entreprises, pourquoi ne pas leur proposer un petit moment avec des tranches de salami ?

Une petite histoire vaut souvent mieux qu'une longue démonstration....

Bon appétit !