Décroissants chauds
17 juin 2007
La croissance, c'est un must quand on parle de performance. Une entreprise sans croissance, c'est une entreprise dont on se méfie.
Certains croient qu'elle vient toute seule comme une fée, mais pour la plupart, ils savent que c'est un objectif difficile, qui nécessite d'être toujours innovant, de répondre toujours mieux et en avance aux besoins des clients. Une entreprise en croissance, c'est forcément des actionnaires, des clients, des banquiers, des collaborateurs, plus heureux. Même l'Etat est de la chanson, car, pour lui, une entreprise en croissance, c'est des impôts, de l'IS, de la TVA, etc...
Et puis il y a ceux qui nous disent que la croissance, c'est mal, c'est plus tendance, car il faut protéger la planète, il faut arrêter de faire du mal à l'environnement,...
Et une petite vague de contestation de la croissance en tant que telle se propage..
Le Monde y a consacré un supplément spécial le 30 mai dernier.le titre : "La croissance en question".
Philippe Manière, directeur de l'institut Montaigne, n'y croit pas, lui, à cette histoire de frein de la croissance. En bon libéral, il nous rappelle que le capitalisme a le génie de s'adapter et que c'est par l'innovation que les hommes imagineront les sources de croissance compatibles avec les exigences de protection de l'environnement. Des innovations dans l'habitat, les transports collectifs, par exemple, feront que nous ferons notre développement avec des sources d'énergie différentes, et donc que cette histoire de raréfaction des ressources est une fable.
C'est la reprise des thèses de Julian Simon (1932-1998),(notamment dans : "the ultimate ressource") Pour lui, les ressources naturelles n'existent pas, et ne sont qu'un produit de l'esprit humain.Il est vrai qu'une ressource naturelle, quelle qu'elle soit, n'a pas d'existence économique tant que personne ne lui a trouvé d'usage ou ne l'a associée à un projet humain. Pascal Salin explique ainsi dans son dernier ouvrage, que "des pays riches en ressources naturelles ne se développent pas - par exemple le pétrole pour le Vénézuela- alors que d'autres, démunis en ressources naturelles - la Suisse, Singapour ou Hong Kong- sont au contraire trés prospères".
La plupart des économistes interrogés par Le Monde ont l'air d'accord : il ne s'agit pas de contester le besoin de croissance pour le monde, mais ce qui doit changer, ce sont, pour certains " les modalités", pour d'autres le "contenu". Ce sont, selon Christian de Boissieu, président du Conseil d'analyse économique, les comportements individuels qui doivent changer, et les démarches locales, la décentralisation, seront déterminantes.
Reste quelques voix différentes, notamment celle de Patrick Viveret, pour qui la croissance est "insoutenable", et qui appellent à "sortir du monde de l'avoir" pour entrer dans "un développement de l'ordre de l'être"...
Au delà de ces discours théoriques, opposant toujours les libéraux et les interventionnistes en tous genres (non dénués d'arrières pensées et de cette envie altermondialiste de mettre le bordel pour s'accaparer un pouvoir politique qui mettra en oeuvre une contrainte publique redistributrice à leur avantage), Le Monde, a aussi une envoyée spéciale, Gaëlle Dupont, dans la vraie vie d'habitants de..Carhaix-Pouguer, dans le Finistère.
C'est la partie la plus intéressante du dossier.
Les personnes qu'a rencontré Gaëlle Dupont, elles se présentent comme "objecteurs de croissance", ou "décroissants".
De quoi s'agit-il ?
Anna et Arzhel ont un téléphone et une chaîne audio, mais pas de télé ni de frigo. Ils ne mangent que des céréales et des légumes frais biologiques.Anna est convaincue :
" Si nous continuons à abuser de ses ressources, les générations futures n'auront plus rien".
"Nous réduisons certaines choses comme la consommation de biens et d'énergie, mais nous y gagnons du temps pour nous, et la possibilité d'organiser notre vie comme nous le voulons".
Autre témoignage troublant, celui de Béatrice, qui a tout lâché d'un coup :
" J'avais un commerce à Brest, ça marchait bien, il ne restait qu'à le faire grossir....On veut gagner plus, avoir plus, mais à un moment on n'est pas satisfait de la vie qu'on a. On risque de tomber dans l'engrenage boulot, stress, médicaments, passivité".
Béatrice s'occupe maintenant du développement du commerce équitable, elle ne possède rien, elle vit "chez un ami"...
Cette recherche de l'autonomie complète sur le plan matériel, parfois en dépendant des autres, c'est un choix qui semble bien difficile et marginalisant, les témoignages ont tous un ton de petite angoisse.
Céline, architecte, et christophe tentent une explication plus philosophique :
" La décroissance, c'est un choix intellectuel. On doit avoir une culture et les capacités intellectuelles pour le faire. Sinon, on est simplement pauvre".
" On peut parler de décroissance pour nous, dans les pays riches, parce que nous bénéficions de structures collectives, de santé, d'éducation, de transports en commun. On ne peut évidemment pas le faire pour les pays du Sud. Mais on peut les inciter à tirer parti de nos erreurs".
Finalement, ces riches qui s'amusent à être pauvres, que cherchent ils ?
L'article vend la mèche en conclusion, grâce à christophe :
" Nous devons entrer dans une démarche politique, nous battre pour obtenir des choses, donner la possibilité à tous d'aller vers un mode décroissant"
Oui, ce sont des décroissants chauds qui sont là !.
Ah bon c'était de la politique ? Toujours cette lutte de "ceux qui cherchent, non pas à créer des richesses, mais in fine à bénéficier d'une part aussi grande que possible des richesses créées par autrui" (pascal Salin).
L'existence de ces mouvements nous fait aussi réfléchir car, dans nos entreprises, ces thèses sur la décroissance, les méfaits de la croissance, ont déjà commencé à pénétrer. Tous ne sont pas partis vivre à Carhaix-Pouguer. Et il devient de plus nécessaire d'expliquer pourquoi l'entreprise se donne des objectifs de croissance, et comment ces objectifs sont compatibles aves des préoccupations sur l'environnement, le développement durable.
Oublier de traiter de front ces questions, ou être incapable de fournir des réponses franches et convaincantes, c'est faire croître ces phénomènes de rejet.
Si l'entreprise ne traite pas ces questions de fond, c'est peut être l'action politique, parfois violente, souvent mal intentionnée, qui risque d'avoir le dernier mot.
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