Alice et le chat du Cheshire
L'émotion du fidèle

Le changement à coups de ciseaux

Ciseaux Les ciseaux, c'est l'instrument de travail des coiffeurs, des chirurgiens, et des couturières.

Mais c'est aussi l'outil du changement et de la réforme, si l'on en croît l'article de Christophe Jakubszyn, dans Le Monde daté du 13-14 mai dernier.

Pourquoi ?

L' auteur de l'article voit dans les intentions de Nicolas Sarkozy de redécouper les ministères un objectif de réformer plus vite l'Etat. Ce redécoupage, c'est le moyen d'éliminer les doublons et de réduire le nombre des fonctionnaires. Le titre dit tout : "M. Sarkozy veut réformer l'Etat en redécoupant les ministères".

Un anonyme, présenté comme un des "artisans de ce grand redécoupage", en "rigole" :

" Depuis 48 heures, les grandes directions des ministères ont réalisé qu'elles vont se faire bouffer".

C'est vrai que cette histoire qui consiste à tout ré-organiser pour faire changer plus vite et plus fort, on l'a bien vue à l'oeuvre dans le monde de l'entreprise. Dans les années 90, c'était la grande mode du BPR ("Business Process Re-engeneering"). C'était l'époque où un auteur comme Michaël Hammer, était révéré par les consultants et les managers. Cette "grande idée" se répandait à toute vitesse : Il est possible d'améliorer de façon spectaculaire les performances de l'entreprise en modifiant radicalement et brutalement son organisation.

C'est peut-être en essayant de suivre cette vague ancienne que le gouvernement veut avancer. On verra bien à l'usage et une fois le redécoupage en question mieux connu.

Toutefois, quelque chose peut inquiéter ...

En effet, cette vague du BPR, elle a fait son temps, et beaucoup de dégâts entre temps, dans certaines entreprises. Michaël Hammer lui-même, dans un ouvrage publié en 2002,  ("Carnet de route pour manager"), fait amende honnorable et dit s'être trompé, et avoir trompé ses lecteurs : Non, le re-engeneering et le redécoupage systématique des organisations n'est pas la recette miracle. Car, nous dit-il :

" Il n'y a jamais une seule et unique solution, panacée susceptible de résoudre tous les problèmes. Croire qu'une seule idée ou une seule technique peut apporter le salut et la réussite est une aberration".

" Les managers d'aujourd'hui ont redécouvert qu'il n'est pas facile de faire des affaires. Diriger une entreprise a toujours été et reste une des aventures humaines les plus complexes, les plus lourdes de risques et d'incertitudes".

Et de nous proposer, dans cet ouvrage, ses nouvelles idées en neuf ou dix points, toujours un peu les mêmes choses (concentrez vous sur les clients, priorité aux processus, élaborer un véritable système de pilotage,...). Rendez-vous dans dix ans, quand il nous en proposera d'autres en battant sa coulpe...

En fait, nos politiques, qui veulent faire moderne, se réfèrent ainsi souvent à des méthodes qui ont l'air de s'inspirer de méthodes modernes de management, mais sont parfois copiées sur des méthodes que les entreprises ont abandonnées, ou bien ils les copient mal. Voir par exemple ces envies de payer les fonctionnaires au mérite, ou s'imaginer qu'on pourra améliorer les performances des administrations publiques avec une "loi de la performance"...

Ainsi, croire qu'en redécoupant avec des ciseaux les services des ministères on va "tout chambouler" est bien naïf, et "l'artisan rigoleur" risque de vite déchanter, car ce qui compte, c'est justement comment les process de travail vont, eux, être redéfinis. Et s'imaginer que des actions sur l'organisation vont tout régler est tout aussi crétin. La matière humaine ne se manipule plus comme ça...même dans les administrations.

En effet, la difficulté à bien gérer les organisations, entreprises ou structures administratives, c'est de savoir prendre en compte ce nombreux paramètres qui rendront l'éxécution possible. L'éxécution, le seul critère qui compte pour réussir sa stratégie.

Mais, restons confiants, car les travaux n'ont pas commencés, et peut-être que cette nouvelle définition des frontières est l'élément déclencheur, comme un acte symbolique et fondateur (ça aussi, on sait bien le faire quand il faut dans les entreprises).

Espérons donc que ce n'est pas en s'arrêtant à des artifices de redécoupages annoncés sur le perron de Matignon que l'on va s'attaquer à la Réforme de l'Etat.

Non, monsieur l'artisan, ce n'est pas le moment de rigoler, le plus sérieux est à venir :

Messieurs les ministres, au boulot !

Commentaires

Damien

Le public imite/suit le privé.
Le privé français imite/suit le public américain.
Et tout ceci, avec des décalages de plusieurs (dizaines ?) années.

Dans toutes ces reprises, le problème ne réside-t-il pas dans la recherche d'un modèle à coller plutôt que d'un modèle pour réfléchir et développer sa propre voie.

Par ailleurs, la mise en place d'une solution ne repose-t-elle pas sur un diagnostic partagé par tous les acteurs ( du moins la majorité) ? Concernant le domaine soulevé, la réforme de l'Administration passe par une prise de conscience de ses propres agents ; dans une vie antérieure de consultant sur le secteur public, j'ai pu en mesurer toute la difficulté, en particulier lorsque ces organisations restent refermées sur elles-mêmes sans autres points de comparaison.
Sarkozy a-t-il trouvé la clef ? Nous verrons

Damien

J'ai relu mon commentaire tardif ; je voulais écrire que le privé français suit le privé américain

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