Quand il s'agit de porter un regard critique sur le fonctionnement de leur organisation ou de leur équipe, certains managers se déclarent déçus, ou pire, par le comportement de leurs troupes, et notamment les plus jeunes. Au moment de se lancer dans un plan de progrès ou de restructuration, cela permet de justifier le besoin de renouveler les collaborateurs, en sortant ces éléments néfastes, et en cherchant à recruter de meilleurs éléments. Cela donne quelque chose comme :
" Mes collaborateurs n'ont pas l'air motivés; ils ne se donnent pas à fond dans leur travail, comme moi à leur âge, qui avait une éthique, une volonté de me donner à fond dans mon travail, que je ne retrouve pas dans cette génération .."
" Pour réaliser les objectifs de performance, de productivité, il faut embaucher des collaborateurs plus compétents".
Il existe de mutiples variantes de ce genre de musique, mais le fond reste le même : ce genre de manager aimerait bien avoir le collaborateur idéal, qui se défonce, qui ne se plaint jamais, qui dit toujours oui à plus de travail, mais aussi qui soit intelligent, brillant, original,suffisamment autonome pour qu'on n'ait pas trop à s'en occuper ("si il faut tout lui expliquer, quelle fatigue !").
Ce genre de rêve est constamment déçu, et révèle souvent un dysfonctionnement plus profond dans le management et l'encadrement.
En fait, ces managers aimeraient n'avoir à manager qu'un troupeau de moutons, toujours à bêler en disant : "encore !". Alors que souvent, ils doivent apprendre à élever des individus difficiles, comparables à des chats, avec leurs soucis personnels, leurs peines, leurs désirs, leurs états d'âmes, leurs rêves secrets, tous différents, trés individualistes,...; et élever des chats, c'est sûrement plus difficile que des moutons, voire même impossible.En fait, ces managers n'ont pas appris à manager de cette façon. Ils se rappellent leur propre jeunesse dans l'entreprise (qu'ils idéalisent souvent un peu trop), considérant qu' "ils en bâvé", qu'il se sont "faits tout seuls", et que la nouvelle génération n'a qu'à faire la même chose. C'est le syndrome du "self-made leader"...
Il est pourtant évident que l'on ne peut probablement pas reproduire les méthodes de management qui ont produit leurs effets sur la génération précédente, pour manager les générations actuelles.
La société française a profondément évoluée au cours des dernières décennies : pensons par exemple à toutes les évolutions de la société en matière de moeurs, observons les cas de divorce dans les couples de plus en plus jeunes,le développement des psychologues, psychanalystes, et cliniciens en tous genres qui s'occupent du mal-être des individus, y compris des plus jeunes...Autre tendance, le rejet de l'autorité, le développement de l'individualisme, sans parler des conflits liés à la religion.
Et bien, cette société, ces religions, ces mal-être, ces comportements, ils ne se sont pas arrêtés à la porte de l'entreprise, au contraire; nos entreprises ne sont pas différentes de la société, et comprennent les mêmes individus. Ces phénomènes, ils en sont, qu'on le veuille ou non, complètement partie prenante.
Alors, faire mine de les ignorer, au nom d'un principe comme "le travail, c'est le travail; les problèmes personnels, c'est pas notre problème !", c'est souvent là qu'est la cause du désarroi de nos managers.
On a en fait les collaborateurs que l'on mérite; feindre de les ignorer en tant qu'êtres humains complexes, considérer qu'on peut les manipuler sans état d'âme, que seuls les résultats comptent, c'est probablement aller au devant de bien des déconvenues,( même si des résultats sont possibles en exerçant une pression maximum, mais jusqu'à quand ?). C'est le signe de défaillances importantes dans l'art de manager les personnes.Et quels que soient les collaborateurs qu'ils embauchent, ces managers défaillants ne feront qu'attirer toujours les mêmes, les plus mauvais, les "passifs agressifs", et verront partir en courant les meilleurs, qui ne supporteront pas longtemps leurs méthodes.
C'est en effet un art difficile que de donner cette dimension au management, et c'est souvent parce qu"elles ont réussi à diffuser ce style de management que certaines entreprises, et certains managers, font des miracles, arrivent à mobiliser les talents des collaborateurs sans exercer de pression, mais en libérant une énergie incroyable, que l'on sent dès que l'on entre dans l'entreprise.C'est là un avantage concurrentiel inestimable, un véritable actif immatériel qui vaut de l'or.
Inversement, celles qui en sont restées à un style de management basé sur l'autorité, les ordres sans discussion, la soumission, où tout objectif est lié à une récompense financière ou une sanction, ne peuvent que générer les énergies négatives, le stress, la fatigue, et souvent ce sont les managers eux-mêmes, en plein désarroi qui sont les plus fatigués. Et l'on sent combien tout le potentiel des collaborateurs est sous-utilisé, non exprimé...
Alors, pour redonner un meilleur rendement énergétique à l'entreprise, et atteindre de nouveaux paliers de performance opérationnelle, cette dimension est devenue clé. Elle demande plus de discernement, le développement de qualités d'écoute, qui ne sont pas toujours faciles, surtout avec les collaborateurs les plus difficiles. C'est probablement parce que cette difficulté est croissante que l'on voit se développer ce métier de "coach", et la littérature qui va avec. Il suffit de dialoguer avec un coach professionnel, qui voit défiler à longueur de journée dans son bureau des managers en demande d'aide, pour comprendre combien l'art de manager est devenu de plus en plus délicat, et que de plus en plus de managers, à tous les niveaux, perdent pied, se sentent incapables, perdus, déprimés. Il est fini le temps (si il a jamais existé) où être manager consistait à assister passivement à des réunions et à déverser des ordres vers ses subordonnés.
La solution ne consiste pas à faire "plus de la même chose", c'est à dire : plus d'efforts, plus de contrôle, plus de procédures, plus de sanctions, plus de bonus et de primes d'objectifs, plus de plus, plus de stress,etc...
Au contraire, il est nécessaire, pour progresser, de démontrer plus de courage et de convictions, de vider l'entreprise de ses certitudes, de ses contrôles inutiles, des chefs et sous-chefs qui intoxiquent ceux qui se sentent bridés dans leur volonté de liberté, de créativité,...
Ce moment, où l'on va tout d'un coup porter un regard neuf sur les chats qui nous entourent, où l'on cessera de croire qu'ils sont des moutons à mater, cette façon nouvelle de considérer notre rôle de manager, c'est souvent l'élément déclencheur qui annonce le succés de tous les plans d'actions et de progrès que l'on souhaite lancer dans son entreprise et avec son équipe.
Miaou .....