Ambition
Management Trés Grande Vitesse

Défense des réseaux branchés

Chains2 Tout le monde nous le répète : c'est fini le temps où les employés pouvaient passer toute leur carrière dans la même entreprise. Maintenant, il faut bouger, gérer son "employabilité". Et puis,pour l'entreprise, il est bon que des idées nouvelles circulent, que les gens bougent, qu'on fasse venir des collaborateurs de "l'extérieur". Au point que les entreprises où l'on rencontre encore des collaborateurs avec 20 ou 30 ans d'ancienneté sont considérées comme particulièrement ringardes, imprégnées de vieilles habitudes, bref, NULLES.

Alors, quelqu'un qui défend la longévité dans l'entreprise, ça ne peut être qu'un extraterrestre....

Ce personnage existe : Louis Schweitzer, dans le livre d'entretiens qu'il consacre à ses "années Renault", où il a passé 19 ans (un record parmi les patrons de firmes d'automobiles dans le monde), est interrogé sur ce qui peut bien constituer l'unification d'une entreprise comme Renault, qui s'étend sur des théâtres d'opérations trés différents et étendus. Est-ce l'équipe de Direction ? une astuce dans l'organigramme ?

Non, répond Louis Schweitzer :

"Renault est une entreprise dans laquelle il y a des réseaux personnels partout. L'existence de ces réseaux a certainement joué un rôle important dans l'unification de Renault".

Mais, ces réseaux personnels, d'où viennent ils ? D'une décision d'organisation inventée par les penseurs de la Direction des Ressources Humaines ?

Mais non! Alors Louis, explique-nous !

"Ce phénomène est dù à la stabilité des employés. Une entreprise où les gens partent au bout de trois à cinq ans possède un organigramme qui représente non seulement une ligne verticale de commandement et de responsabilité, mais aussi une ligne verticale de communication. Par contre, dans une entreprise où les gens - qui ont pu changer de poste ou de métier - restent pendant vingt ou trente ans, il est normal que toute une série de réseaux de communication apparaissent à côté des voies officielles. Et ces réseaux se maintiennent dans le temps. Parce qu'on s'est connu il y a dix ans ou qu'on a travaillé ensemble à tel moment, on continue à communiquer directement les uns avec les autres. Plusieurs personnes recrutées en cours de carrière chez Renault m'ont dit : " C'est affreux, je suis perdu, je suis branché uniquement sur ce qui est offciel. Je n'ai pas accés aux autres réseaux."

Pour illustrer son propos, il prend un exemple :

" Lorsqu'une personne du Technocentre de Guyancourt veut parler à quelqu'un d'un autre centre, il est rare que cela passe par la ligne des chefs. Dans certaines entreprises, ce genre d'échanges est toujours relayé par les supérieurs. Le mode de communication direct utilisé par les employés de Renault montre bien que l'unification n'est pas un problème chez nous".

Alors, bien sûr, le Technocentre de Guyancourt, tout de suite on pense aux collaborateurs qui s'y sont suicidés récemment (c'était aprés la rédaction de ce livre), et on se dit que ça ne doit pas être si simple la communication,...

D'ailleurs, Louis Schweitzer n'en conclut pas pour autant que ces réseaux ont remplacés toute hiérachie, et que le commandement vertical ne sert plus à rien.

Le défaut de ce type de réseaux, selon lui, c'est que " la présence de ces réseaux nuise à la cohérence des actions et à la prise de décision."

" Même si les gens de Renault sont animés d'un esprit d'unité, cela n'entraîne pas une coordination spontanée des initiatives individuelles et des réseaux".

C'est pourquoi il nous recommande de proposer vers ces réseaux et les collaborateurs des projets qui les tirent vers l'avant.

" On peut ainsi les mobiliser sur des actions cohérentes . Pour renforcer l'efficacité de cette méthode, il faut aussi introduire des tensions, par exemple en fixant des délais susceptibles de mettre un terme aux débats. Il faut exercer une pression, afin que, à un moment donné, les gens puissent sortir de leur incertitude. Pour entretenir le dynamisme de ce système de réseaux, il faut à la fois tirer et pousser."

On sent bien que cette recherche d'une certaine manipulation de ces réseaux, pour faire passer ("tirer et pousser") les projets de la hiérarchie, ne doit pas être trés simple. Et on imagine bien les dérives que cela peut entraîner.

Néanmoins, la démonstration de Louis Schweitzer, défendant l'équilibre entre le pouvoir des réseaux et le pouvoir vertical, est une bonne illustration de la complexité du fonctionnement de l'entreprise, qui ne peut être simplement compris en lisant son organigramme.

Et pourtant, que de dirigeants qui, pour tenter d'améliorer ce fonctionnement, se lancent dans un changement d'organigramme et d'organisation.

Conseillons à ceux-ci de ne pas oublier ces "réseaux" de branchés qu'il leur faudra identifier, avant de "tirer et pousser", sinon il est probable que ce se sont les réseaux qui les "pousseront", mais cette fois ci, vers l'échec, voire la sortie....

Nota : Pierre Bilger, dans son blog, fait une synthèse trés intéressante du livre de Louis Schweitzer, qui donne une vision appronfondie des enjeux stratégiques de Renault et de l'industrie automobile.

Commentaires

DT

Je n'ai pas encore lu le livre de LS. Mais cette "théorisation" du réseau est intéressante surtout de la part d'un homme qui en a la pratique.
Il s'agit finalement de communication informelle, c'est à dire de processus qui, bien qu'ils soient maîtrisés par les individus, demeurent inconscients pour l'institution.
Gérer ce type de dynamique est tout l'art du management.
Toutefois, un réseau au sein d'une entreprise n'est jamais neutre ; son développement est historique et étroitement lié au style de management. Deux types de management opposés, le bureaucratique et le décentralisé, vont avoir tendance à favoriser la constitution de réseaux, mais leur fonctionnement sera très différent.

Marc Traverson

Merci pour cette note tout à fait pertinente.

Il m'est arrivé à plusieurs reprises d'intervenir chez Renault au Technocentre, et ce qui m'a toujours frappé dans la culture de l'entreprise, c'est la complexité des organigrammes (le fameux "matriciel"...) et la difficulté pour les jeunes cadres à se repérer dans ces entrelacs de responsabilités croisées. Les réseaux informels sont aussi un moyen de "simplifier" les relations, par des contacts directs certainement très utiles pour fluidifier la communication au sein de l'entreprise.

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