Moeurs outrancières ?
25 février 2007
Un lecteur attentif des posts de ce blog rapporte dans un commentaire, à propos de la confiance, avoir "du mal à percevoir le rôle des objectifs agressifs sur la confiance". Une bonne occasion d'y revenir.
Il peut sembler en effet un peu tordu de considérer que, pour créer la confiance entre les collaborateurs et vis à vis de l'entreprise, il faille se donner des objectifs agressifs à atteindre.
Pourtant, observons ces entreprises où la recherche de progrés, la culture du résultat à atteindre, a disparu ou n'existe pas, ou le développement de l'entreprise se fait sans trop de pression, de façon, disons, modérée : que s'y passe-t-il ?
Une morne somnolence où les collaborateurs vivent leur journée de travail comme un mauvais moment à passer, avant la vraie vie, les passions privées.Il est clair que dans un tel environnement, chacun s'occupe de ses petites histoires, et que la "confiance" entre les uns et les autres a du mal à s'instaurer.
Alors, oui, se mettre d'accord, ensemble, sur une ambition et des résultats à atteindre, cela facilite certainement l'émulation, et la volonté de réussir ensemble.
Il suffit de constater comment, dans les situations de crise grave : les personnes oublient leurs soucis individuels et se donnent ensemble, en confiance, à l'atteinte du but . Pensons au cas extrême du comportement des passagers du vol du 11 septembre, et tous ces films où la solidarité face à la catastrophe devient trés forte.
Alors, on peut se dire que, si un tel élan de confiance est possible dans des cas de crise ou de catastrophe, il serait encore plus utile de pouvoir le faire naître dans des situations plus positives de détermination d'une ambition pour l'entreprise, c'est à dire avant d' y être contraint par la crise.
Les Echos du 20 février citaient sur ce thème l'exemple de Lafarge, qui "imprègne ses salariés de la culture du résultat".
De quoi s'agit-t-il ?
Un directeur d'usine explique comment il ressent ce "passage d'une culture de l'effort à une culture du résultat". Cela se traduit "par un accroissement de la pression sur l'ensemble des salariés, mais c'est stimulant".
Et puis, cette façon de manager, elle correspond aussi à une forte délégation : une fois l'ambition et le rêve partagé, les moyens, le comment, n'ont pas besoin d'être préparés en détails : chacun a la liberté des modalités, et là encore, cela faicilite la confiance.
Citons encore le témoignage des cadres de Lafarge dans cet article :
" Une fois les objectifs mondiaux fixés par la direction à Paris, chaque business unit (il y en a 150 dans le monde), chaque direction et chaque usine doit non seulement se les approprier, mais les mettre en application en fonction des meilleurs critères locaux. On nous montre la voie, mais chacun est responsable des objectifs à atteindre. C'est une société où rapidement on vous responsabilise et on vous fait confiance"
La confiance, c'est en effet aussi "faire confiance".
Ce week-end, Le Figaro magazine rend compte d'une enquête effectuée auprés de 85 chefs d'entreprises de plus de 2000 salariés, sur cette confiance.
Une question est: "Dans votre entreprise, avez-vous particulièrement confiance dans....
- les membres du Comité de Direction : OUI à 97%
- les cadres, le management intermédiaire : OUI, à 60%
- les non-cadres (employés, ouvriers) : OUI, à 73%
Et le journal de rapporter les témoignages de patrons tout souriants et contents d'avoir aussi bien répondu...
Derrière ce discours convenu, on ne peut qu'être interpellé par le fait que la population pour laquelle cette confiance est la moins déclarée, c'est précisément celle des cadres et du management intermédiaire,
Et les commentaires indiquent bien combien l'ambition et la créativité impulsées par le haut ont d'impact.
Et puis, que seraient une entreprise, et ses collaborateurs, où les objectifs resteraient non ambitieux, c'est à dire ...modérés ? Et vaut-il mieux faire confiance à des collaborateurs ambitieux ou à des collaborateurs modérés ?
Cela me rappelle une définition de Tony Duvert, dans son "abécédaire malveillant" (1989) :
"Qu'est-ce-qu'un homme modérémént intelligent ? Un idiot. Modérément honnête ? Un escroc. Modérément beau, il est vilain. Modérément savant, il est ignare. Modérément poli, c'est un goujat. Modérément sobre, c'est un ivrogne. S'il vous aime modérément, il vous hait. S'il travaille modérément, il ne fait rien. Les modérés ont des moeurs outrancières".
Alors, pour développer la confiance, impulsons les grandes ambitions qui nous préserveront de ces moeurs outrancières dans nos entreprises.