Ecologie de l'action
03 janvier 2007
Pour certains , dans nos entreprises, ça ressemble terriblement à 2006 : même poste, même chef qui m'énerve, mêmes problèmes, mêmes collaborateurs qui ne comprennent rien, la liste est sans fin ... Ceux là, on les repère tout de suite, ils n'aiment pas le changement, alors à part le numéro de l'année, tout le reste est à l'identique, et pourvu que ça dure encore un an comme ça. Espérons que ceux là ne sont pas trop nombreux...mais il y en a encore pas mal...
Et puis, à l'inverse, il ya ceux qui bougent tout le temps, qui ont toujours des projets, qui aiment l'action (oui, comme celui-ci), et pour qui chaque jour est comme une nouvelle année... Les dirigeants aimeraient bien en avoir plein comme ceux-là, c'est ce qu'ils appellent leur "capital humain" ou "capital immatériel", constitué à partir d'une alchimie mêlant sélection à l'embauche et motivation des collaborateurs.Ils en sont fiers, et ils semettent dans le lot, parfois.
Oui, mais l'action, elle peut aussi être toxique pour ceux qui imaginent que l'action découle directement d'une bonne intention de changement et qu'elle est la matérialisation de ce résultat, de ce progrès toujours recherché, s'inspirant des "best practices" piochées on ne sait où. Quelles déconvenues pour ceux qui y croient tellement fort qu'ils sont perdus dès que les résultats tant attendus n'arrivent pas, que quelque chose cloche. Pour ceux là, la solution est toute trouvée : il faut redoubler d'effort.
Des exemples ?
Refonte des process industriels; pas de résultats; refonte encore; pas de résultats; sanctions et on continue...
Refonte de la logistique; pas de résultat; refonte encore, etc...
Refonte, action, sur le système de pilotage et tableaux de bord; ça donne pas de résultats assez rapides; on affine, on complique; on recommence; etc...
C'est la méthode, si bien décrite par Watzlawik et l'école de Palo Alto, du "toujours plus de la même chose", qui conduit parfaitement à "réussir à échouer" ou à "faire soi-même son propre malheur"...
Et, en fait, cette façon de se jeter dans l'action, de façon agressive, forcée, mécanique, aboutit aux mêmes résultats, c'est à dire souvent à rien de pérenne, que l'attitude de ceux qui ne changent jamais rien.
Cette résistance naturelle de l'action, ce non automatisme entre action et résultats, Edgar Morin la décrit bien, notamment dans son dernier volume de "La Méthode", "6. L'Ethique", c'est ce qu'il appelle "L'écologie de l'action".
De quoi s'agit-il ?
De deux principes simples, faciles à retenir, et qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe.
" L'écologie de l'action nous indique que toute action échappe de plus en plus à la volonté de son auteur à mesure qu'elle entre dans le jeu des inter-rétro-actions du milieu où elle intervient. Ainsi l'action risque non seulement l'échec, mais aussi le détournement ou la perversion de son sens.".
D'où le premier principe :
"Les effets de l'action dépendent non seulement des intentions de l'acteur, mais aussi des conditions propres au milieu où elle se déroule".
Ce rôle du milieu, il vient comme un boomerang mettre le désordre dans les idées de tous ceux qui pensent que le benchmark, la mise en oeuvre des recettes qui ont, apparemment, réussi ailleurs, conduiront à la réussite avec certitude...Aucune solution toute faite n'existe pour résoudre n'importe quel problème, même s'il n'est pas interdit de connaître ce que font les autres.
Mais il y a un deuxième principe, encore pire pour l'être rationnel épris d'action :
"Le deuxième principe est celui de l'imprédictibilité à long terme. On peut envisager ou supputer les effets à court terme d'une action, mais ses effets à long terme sont imprédictibles. Encore aujourd'hui, on ne sait pas mesurer les conséquences futures de la Révolution française ou de la Révolution soviétique".
"L'action, même bonne, peut porter un avenir funeste : même pacifique, elle peut porter un avenir dangereux."
"Nulle action n'est donc assurée d'oeuvrer dans le sens de son intention".
Alors, on fait quoi ? Finie l'action, qui ne garantit aucune chance de réussir et d'arriver au but de nos intentions ?
Au contraire, ce que nous enseigne cette "écologie de l'action", c'est que l'action est comme la Nature, elle n'est pas contrôlable, et donc elle constitue un pari, un choix, et cette incertitude acceptée est d'ordre éthique.
Alors, plutôt que de s'acharner sur l'action comme sur un marteau, Edgar Morin nous apprend à la regarder avec la bienveillance de celui qui regarde la Nature se développer : tout ce qui va en sortir va nous apprendre quelque chose...
Et pour ne pas se bloquer dans les incetitudes de l'action, il nous conseille des attitudes simples,...et écologiques :
- examiner le contexte où doit s'effectuer l'action,
- connaître l'écologie de l'action,
- reconnaître les incertitudes et les illusions éthiques,
- pratiquer l'auto examen,
réfléchir aux décisions, reconnaître ses risques, élaborer une stratégie.
Oui, pour ne pas s'abrutir dans les actions, et s'y frustrer en permanence, il nous encourage à voir plus loin, à garder devant soi la ligne de la stratégie, on pourrait dire une vision, qui fixe le cap, donnera toujours de l'énergie pour adapter, corriger, changer de chemin.
C'est une manière de "bien penser", une "éthique de pensée" qu'il tente ainsi de théoriser.
Et oui, on y revient, encore une fois, ce qui compte, ce ne sont pas tant l'accumulation de plans d'actions sans fin, que la stratégie, les intentions, le guide, tout ce qui manque aux agités...
Pas facile de considérer la stratégie comme ça.
Lisons Edgar Morin :
"L'élaboration d'une stratégie comporte la vigilance permanente de l'acteur au cours de l'action, tient compte des aléas possibles, effectue la modification de la stratégie en cours d'action et éventuellement le torpillage de l'action qui aurait pris un cours nocif. La stratégie demeure navigation au gouvernail dans une mer incertaine, et elle suppose évidemment une pensée pertinente. Elle comporte un complexe de méfiance et de confiance, qui nécessite de se méfier non seulement de la confiance, mais aussi de la méfiance. La stratégie est un art. Tout grand art comporte une part d'imagination, de subtilité, d'invention, ce dont font preuve les grands stratèges de l'Histoire".
Alors, peut être que ce début d'année, parfois consacré à la mise à jour des "to do lists", des projets, des actions, peut il laisser un peu de place à cette "écologie de l'action", à l'imagination, à la subtilité, à l'invention, à la stratégie, et à de bonnes lectures, avant de repartir bille en tête dans les "ya ka faut kon" qui ne convainquent plus grand monde.
Voilà donc encore un très bon article avec des visions partagées ; j'y fait référence dans mon blog en espérant que beaucoup de gens le liront et... l'appliqeront.
Rédigé par : La Chouette | 07 janvier 2007 à 01:59
Votre note est très intéressante. Cette notion d'écologie de l'action rejoint la notion de "fluidité", que j'aime bien personnellement, et qui permet de réfléchir aux conditions mêmes de l'action, au "processus", et pas seulement à l'intention ou au résultat visé.
Bien cordialement
Rédigé par : Marc | 15 janvier 2007 à 09:34