Le Job du Manager
Pourquoi ressemblent-ils tous à leur chien ?

Action et proactivité : faut-t-il s'en méfier ?

Chirac_1 C'était dans Le Figaro, en gros, à la Une, mardi dernier 31/10) :

"Ce que je veux, c'est l'action avant tout"

C'est Jacques Chirac qui parle comme ça; il est dans son costume de Président, de chef.

L'interview déroule toutes les réformes dont il est content (en fait, il est content de toutes), et toutes celles dont il veut nous faire cadeau avant de partir.

Dans cette posture, on sent tout le volontarisme dont se revendique Jacques Chirac; il le dit d'ailleurs : "Nous mettons tout en oeuvre pour que la France passe sous la barre des 8% en 2007. C'est volontariste, et c'est possible". (Il parle du chômage, pas du saut à la perche).

Et ces réformes auxquelles il tient, il nous en prévient : "Rien ne me détournera de ces objectifs".

Oui, dans cette interview du Président, on a beaucoup parlé de tout et de rien.

Cette obsession de l'action, voilà bien une caractéristique de ces discours de chefs, un peu guerriers.

Qu'est ce que ça nous dit ?

J'ai gardé en tête une citation de Georges Pompidou qui, dans un livre de mémoires qui est resté assez confidentiel, "Pour rétablir une vérité",disait :

"L'action demande plus au caractère qu'à l'intelligence, mais il faut admettre qu'à bien des égards elle appauvrit".

Oui, ce désir d'action, cette concentration sur "ce qu'il faut faire", il cache parfois de drôles de choses, et pas forcément beaucoup d'intelligence.

Dans le monde des entreprises, l'action, la proactivité comme disent les savants du management, est aussi une valeur mise en avant. Prenez Stephen R. Covey, le célèbre gourou, avec son best seller "Les sept habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent", quelle est donc la première de ces habitudes dont il parle : Soyez proactifs !

Être proactif, c'est en fait ne pas se laisser perturber par ses émotions, ne pas réagir (Covey oppose d'ailleurs la réactivité, pas bien, à la proactivité, super), mais au contraire rester maître de soi-même, de ses choix. C'est le premier pas vers l'indépendance.

Ce conseil s'adresse d'abord à l'individu, et comporte, certes, de bonnes choses; cette maîtrise de soi, cette capacité à choisir, ça ne peux pas faire de mal, et c'est toujours mieux que de s'énerver tout le temps, ou de pleurer de désespoir dès que quelque chose ne va pas.

Mais, étendons cette attitude à l'entreprise dans son ensemble, et là, que voyons nous ?

L'entreprise proactive, c'est celle qui est apparemment un modèle, et se caractérise par de fantastiques outils de contrôle et de prévision : rationalité, plans stratégiques, risk management.

C'est l'organisation qui a rendu tout intelligible, qui met tout en équations, qui aime les organigrammes, les procédures, tout ce qui empêche le désordre, le chaos, le bordel.

Ce genre d'organisation, on a longtemps considéré que c'était l'élite des entreprises, celles où vont tous les diplômés des grandes écoles, qui ont justement appris à fonctionner dans ces systèmes biens huilés.

Malheureusement, ces organisations et ceux qui s'y complaisent sont vite atteints par de graves maladies qui sévissent encore aujourd'hui.

Ces graves maladies sont l'égoïsme, l'arrogance, l'aveuglement, le manque de vision; le manque d'écoute de l'environnement.

Cette conviction que l'entreprise se pilote, que dire "JE VEUX" permet de tout faire, que le volontarisme est une vertu pour réussir, sans que "rien ne détourne de l'objectif", que de dégâts elle fait.

Croire que l'entreprise, ou toute organisation, est un monde fermé et contrôlable, c'est se bercer d'illusions, et préparer ceux à qui on essaye de faire croire de telles bêtises à des réveils difficiles.

Cette vision du monde, il est plus que temps de s'en méfier.

L'organisation est ouverte; ce dont ont besoin les entreprises tient d'abord de la vision, et le modèle d'organisation de la "proactivité" doit vite faire la place à des modèles qui parlent plus d'interactivité, de spiritualité. Harrison Owen , dont j'ai déjà parlé, est un fervent défenseur de ce type d'organisation, qu'il appelle "inspirées".

Cela évoque une salle de concert où l'orchestre, les musiciens, les spectateurs, sont en fusion dans la musique de Bach ou Mozart, comme un moment magique. Et non un chef d'orchestre tout seul qui s'agite en criant "Je veux que vous aimiez ma musique !".

Pour nos organisations, être inspirées, cela correspond à l'acceptation du chaos comme un facteur obligatoire et nécessaire du développement et de la transformation des entreprises.

C'est aussi l'organisation où il n'y a pas un héros qui dit "Je Veux", mais un maillage de communautés de pratiques où finalement il n'y a pas de héros, pas plus dans l'entreprise qu'à l'extérieur.

C'est aussi l'organisation où l'on s'amuse et où l'on prend plaisir à travailler, justement grâce à cet "esprit" qui y circule, alors que l'organisation "proactive", c'est celle où l'on parle sans arrêt d'efforts, de difficultés, de peine, où l'on ne rêve jamais, et qui fatigue tout le monde.

L'organisation inspirée, c'est aussi celle où l'on ne dit pas sans cesse "Je sais", mais où l'on apprend sans cesse. Et pas apprendre au sens d'engranger des connaissances et des compétences, comme à l'école, mais apprendre des expériences de vie, vivre des transformations personnelles.

On ressent combien ces caractéristiques de l'organisation interactive, ou inspirée, facilitent l'innovation, la qualité de vie, la relation clients. Tout ce que l'organisation proactive sait de moins en moins bien faire face à la complexité du monde. Même s'il reste quelques Jacques Chirac pour s'en réclamer...

Alors ces discours proactifs, obsédés de contrôle et d'action, qui ne font rêver et n'inspirent personne, oui, méfions nous-en. Et engageons nous vers des principes de management plus ouverts, plus inspirés....plus efficaces.

Commentaires

Ibiscus

Bonjour,

J'aimerais juste écrire qu'il est dommage que vous ayez sorti le "Soyez proactif" de Covey de son contexte qui est justement les 7 habitudes ! Celle dont vous parlez n'est que la première et vécue seule n'amène effectivement pas grand chose et risque les dérapages que vous soulignez. Par contre, vivre les 7 habitudes devient un mode de vie qui prend en compte son prochain avec les 4e, 5e et 6e habitudes. Bonne année !

Zone Franche

merci.
Oui, j'ai probablement été un peu injuste avec Covey, qui reste un auteur dont j'apprécie les ouvrages et théories. La critique du type de "proactivité" dont je parle ne lui est pas directement adressée.
Mais reconnaissons quand même que cette tendance à croire que l'on peut tout prendre en main et réussir grâce à la "proactivité" a quelque chose d'agaçant.

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