Le Job du Manager
29 octobre 2006
Ce dilemme semble vieux comme le monde : manager des hommes, c’est chercher constamment le bon équilibre entre la délégation et le contrôle, entre les instructions précises et la liberté laissée au collaborateur pour satisfaire son désir d’autonomie.
Pourtant, j’entends souvent de la part de certains managers, une remarque qui laisse songeur :
« mes collaborateurs à moi, ils n’aiment pas qu’on leur laisse trop de liberté, il faut les prendre en main, les surveiller tout le temps, sinon ils sont perdus et ils ne font que des conneries ! ».
Et ça continue avec une ou deux anecdotes irréfutables où, alors que le manager leur avait laissé un peu de liberté, ils ont effectivement fait une grosse connerie.
Autre confession :
« tu vois, ce collaborateur qui travaille avec moi depuis un an, à qui on a déjà dit tout ce qui n’allait pas, et bien, il est toujours aussi nul ».
Le monde des services professionnels est un bon environnement pour ce genre d’interrogations, car le client est pour le manager la statue du Commandeur à qui on a tant promis, à qui on doit tout, qui nous fait parfois un peu peur (et si tout d’un coup, il ne m’aimait plus ?) alors derrière, les consultants et collaborateurs, ils faut que ça suive, pas de contestations dans les rangs, pas d’états d’âme, ouste…
Alors, évidemment, avec ces cas concrets en tête, on ne peut qu’être interpellé quand on lit dans l’ouvrage de Rob Lebow et Randy Spitzer, « Accountability, freedom and responsability without control », dont j’ai déjà parlé, qu’il faut abandonner toute idée de « control based organisations » et passer à « freedom based environment ». On a envie de leur dire qu'ils ne sont pas dans la réalité !
Et en même temps, la présentation et les résultats paraissent convaincants, et on a envie d’essayer.
Alors, si je veux passer à une organisation où les collaborateurs sont le plus autonomes possibles, choisissent leurs actions, leurs objectifs, (oui, ils y vont à fond Rob et Randy !), et surtout sont plus efficaces, il faut faire comment ?
Forcément, il n’y a pas de recette toute faite qu’il suffirait d’appliquer sans réfléchir. Au contraire, les règles qui sont proposées doivent être confrontées à nos propres pratiques concrètes, pour être intériorisées.Elles sont d'abord une remise en cause de nos comportements habituels.
Rob et Randy nous incitent à :
- prendre une décision,
- puis mener en parallèle, sans jamais s’arrêter, trois activités.
La décision : c’est de décider que vous voulez vraiment mettre en place une organisation et un environnement de travail basé sur la liberté et la responsabilisation.
Prendre cette décision est difficile, du moins sincèrement. C’est un peu comme de décider que l’on veut mettre en place une décentralisation maximum.
Cela fait forcément peur, on l’imagine, car si on découvrait tout d’un coup que nos collaborateurs ne sont pas si nuls que ça, ou que cette histoire comme quoi ils ont envie qu’on les prenne en main c'est de notre faute, et que c’est pour ça qu’ils font des conneries, par rébellion inconsciente, oui ça serait vraiment un comble. Et puis cette psychologie de bazar, on n’en veut pas, c’est tellement simple de penser que le monde est simple, que les gens peuvent être dirigés comme je veux. Pourquoi se compliquer ?
Alors cette étape de la décision elle peut prendre finalement pas mal de temps, le temps de la retourner dans notre tête, de la digérer. Elle peut demander un peu d’aide de quelqu’un d’extérieur. Elle peut nécessiter de connaître un peu mieux ses collaborateurs, d’écouter, de retrouver le sens profond du mot « confiance ». Cette confiance qu’on a du mal à accorder aux autres parce qu’on en manque tellement soi-même…
Les trois activités, maintenant :
- Donner le droit à la liberté individuelle de chacun : chaque individu a le droit de faire des choix ;
- Demander à chacun d’être responsable : permettre aux gens de définir et de s’engager dans leur travail, et de créer leur propre système ;
- Avoir confiance dans les gens : croire que tout individu a envie d’être le meilleur, grand, et lui faire confiance pour qu’il fasse de grandes choses.
La première activité, c’est de travailler sur l’environnement de travail, c’est de fixer les délégations, les zones d’autonomie, qui permettent à chacun d’exercer ces choix. Il faut préparer cet environnement, on ne peut pas tout lâcher du jour au lendemain, mais cela doit devenir un but. Les auteurs ont l’expérience qu’il faut environ trois ou quatre ans, en partant d’une organisation hyper contrôlée, pour atteindre quelque chose qui ressemble à ce but. Mais il est toujours possible de connaître des petits succès rapides (ces quick wins qu’aiment bien les consultants).
La deuxième activité, elle porte directement sur les pratiques d’évaluations et de fixation des objectifs. Il s’agit de permettre à chacun de définir lui-même ses objectifs, d’être engagés sur les résultats (accountable). En fait, c’est le seul moyen, car, dans les organisations où les objectifs sont fixés par le supérieur hiérarchique, c’est finalement ce supérieur hiérarchique qui est engagé, pas les collaborateurs à qui on les a fixés, et qui peuvent manifester toute leur opposition grâce aux subtilités de l’attitude « passive agressive ».
C’est à ce moment que les objections arrivent, celle que j’ai citées au début de cette note : oui, mais…
Oui, mais, mes collaborateurs à moi, ils sont différents, vraiment pas au niveau…
Oui, mais, ils veulent que je les guide, sinon ils sont perdus,
Oui, mais comme ils sont fainéants, ils vont fixer des objectifs débiles, trop petits, ils ne se rendent pas compte….
Oui, mais ça va prendre un temps fou, on n’a pas le temps, il faut faire les « target »….
Oui, mais,…..je ne sais pas si je suis capable d’y arriver…
ETC…
D’où la troisième activité, qui est plus un comportement, d’avoir confiance dans les gens.
Peut être y en a-t-il qui ne méritent pas cette confiance, qui ne veulent pas, mais combien y en a-t-il ? 5% ? Pas plus probablement. Ceux là devront peut être quitter le navire. Mais pourquoi s’empêcher de mettre en place une telle organisation pour ces 5%, alors que 95% des gens n’attendent que ça ? A condition que ces 95% s'impliquent et s'engagent aussi, en responsabilité, et en conscience, dans cette démarche.Là aussi, cela ne se fait pas tout seul.
Et puis, bien sûr, il y a les cas où l’on va regretter d’avoir fait confiance, où tout ne se passe pas comme prévu… Les auteurs nous conseillent alors de relire dans la Bible le « Livre de Job »… Un peu d’humour (si l'on peut dire) ne fait pas de mal.
Job, c’est ce croyant complètement convaincu de la bonté de Dieu, mis à l’épreuve par le Diable, et qui va connaître les pires malheurs sans jamais se décourager de sa foi…
C’est une bonne référence pour ne jamais se décourager devant les difficultés, de toujours se sentir en état de faire des efforts.
A chaque manager de trouver son Job.
Bon courage !
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