La sincérité est-elle du baratin?
01 octobre 2006
S’il y a une valeur qui marche fort quand on parle de management ou de leadership, ou même des hommes politiques, c’est bien la sincérité.
Oui, on nous le dit et redit, le vrai leader n’est pas un style ou une posture, mais est un être authentique. Il faut apporter dans ses actes et ses comportements cette part de soi-même qui dit le vrai, le sincère.
Alors, évidemment ça fait tout drôle de lire à la dernière ligne du petit ouvrage de Harry G. Frankfurt, « De l’art de dire des conneries », que :
« La sincérité, c’est du baratin ».
De quoi parle-t-on ?
Le baratin dont on parle ici (traduit de « bullshit », qui est plus imagé), est une tendance en fort développement pour une raison simple :
« Le baratin devient inévitable chaque fois que les circonstances amènent un individu à aborder un sujet qu’il ignore. La production de conneries est donc stimulée quand les occasions de s’exprimer sur une question donnée l’emportent sur la connaissance de cette question ».
Une des sources de la prolifération du baratin identifiée par Harry G. Frankfurt est liée à un scepticisme envers la possibilité d’accéder à une réalité objective. Pour tout observateur du monde de l’entreprise et des pratiques de management, il est facile de voir de quoi il est question.
Le monde est tellement complexe, les facteurs de changements tellement nombreux, les progrès de la connaissance et de la technologie tellement rapides qu’il semble impossible d’aborder le moindre sujet avec exactitude. Ou alors cela demande un effort d’analyse que beaucoup ne se sentent pas le courage de faire, sans parler du manque de temps invoqué par tous les fainéants.
C’est cet abandon devant la complexité du monde qui conduit à rechercher un autre idéal, qui permettra de simplifier, de mutiler, de raconter n’importe quoi sans se sentir coupable.
L’idéal de sincérité vient à point nommé pour remplir cette fonction.
Observons ce patron, pris au dépourvu et sommé de prendre position dans un débat entre experts et managers, sur un sujet sur lequel il n’a aucune expertise ni opinion : c’est la sincérité qui va lui permettre de raconter n’importe quoi, sans aucun souci de rechercher des éléments de vérité ou de preuves dans ses positions. C’est aussi cette sincérité bien particulière qui autorisera un politique à parler au nom de la France profonde, ou "d'en bas", des français qu’il a écouté, des banlieux, bref n’importe quel sujet.
Pourtant :
« Aucune théorie ni aucune expérience ne soutient ce jugement extravagant selon lequel la vérité la plus facile à connaître pour un individu serait la sienne. Les faits qui nous concernent personnellement ne frappent ni par leur solidité, ni par leur résistance aux assauts de scepticisme ».
Intéressant, mais vous, SINCEREMENT, vous en pensez quoi ?
Attention, ne répondez pas trop vite, vous risqueriez de …..dire des conneries !
Ce que je pense sincèrement c'est que la simplification est une mutilation et que le simple n'existe pas mais seulement le simplifié (http://neocogit.blogspirit.com/archive/2006/04/15/le-simple-et-le-complexe.html).
Il est vrai que la complexité croissante de notre monde pose un problème à sa perception. Et qui dit lien, dit qu'aucun isolement ne peut conduire à la vérité et à son intelligibilité d'où un comportement de fuite qui se manifeste par un réductionnisme forcené qui lui-même conduit à la simplification, recette magique souvent exprimée avec beaucoup de sincérité.
Ma contribution à cela s'appelle la sémacarte qui peut être un moyen et une aide pour rendre le complexe intelligible en distinguant les élements pertinents et en les reliant entre-eux.
Rédigé par : Christophe | 02 octobre 2006 à 11:14
Dans le "concept"de connerie ;-) , il y a un jugement, un jugement d'erreur. Là, j'ai tendance à renvoyer sur quelques développements que j'ai pu faire sur les décisions absurdes (des "conneries") http://www.managementagora.com/article-3943565.html ainsi que Christophe (http://neocogit.blogspirit.com/archive/2006/09/09/les-decisions-absurdes.html).
Dans votre article, j'aime particulièrement la citation suivante :
"La production de conneries est donc stimulée quand les occasions de s’exprimer sur une question donnée l’emportent sur la connaissance de cette question"
En effet, on touche rapidement ici à la croyance et à l'opinion.
Autrement dit, aujourd'hui, il faut avoir une opinion sur tout (pour paraître dans la Société) ; si on ne s'est pas forgé cette opinion soi-même, cela frôle alors à la "connerie"...
Rédigé par : La Chouette | 04 octobre 2006 à 00:40