Pour de nombreuses entreprises et dirigeants, la cause est entendue : l’entreprise ne se confond pas avec la vie privée. La vie dans l’entreprise est différente de l’autre vie, celle qui est privée.
Dans ce lieu, dès que vous en avez franchi la porte, il y a des règles, et vous devez vous y conformer.
Ces règles, elles disent notamment ce qu’il est interdit de faire, même si ces règles sont parfois plus implicites qu’explicites, mais ceux qui dont le mieux intégrés les maîtrisent et se chargent de les rappeler aux autres.
C’est comme si il y avait un contrat psychologique où, en échange d’un salaire, d’un statut, et de sécurité, le collaborateur se doit de se conformer aux contraintes de l’entreprise.
Ces contraintes, quelles sont elles ?
Elles concernent le temps : le temps au travail, c’est du temps pour travailler, donc chasse aux occupations qui sont non conformes. Mails perso : interdit !, consulter la Bourse: interdit !, blog : interdit ! Il faut travailler sans relâche.
Elles concernent la tenue vestimentaire : des codes plus ou moins explicites sont en place, mais on ne s’habille pas pour travailler comme on s’habillerait chez soi.
Elles concernent les idées et la liberté : dans l’entreprise, il va falloir s’habituer à la présence du chef, qui est « au dessus » de vous, et a un pouvoir que vous n’avez pas le droit d’enfreindre : il donne des ordres, et dit ce qu’il faut faire, et même comment il faut le faire. (On demande aux personnes que l’on recrute d’avoir une excellente formation, et des idées, mais on s’empresse de leur inculquer nos pratiques en vigueur dès qu’elles arrivent ! )
Elles concernent les émotions : certaines sont prescrites, par exemple tout ce qui aurait tendance à vous faire apparaître trop sensible. Certaines entreprises font beaucoup d’efforts pour inculquer à leurs collaborateurs une attitude type, en ligne avec l’image qu’elles veulent donner aux clients. Voyez les employés de Eurodisney, jamais fatigués, toujours joyeux, la belle vie quoi !
Et puis, bien sûr, dans l’entreprise, pas de drague, pas de relation amoureuse, et méfions nous même des amitiés.
Autre caractéristique étonnante : les règles de politesse et de courtoisie que l’on pratique dans la vie sociale semblent ne pas faire partie des règles de certaines entreprises : certains chefs se sentent autorisés à pratiquer l’humiliation, l’intimidation, l’insulte envers leurs subordonnés. Et puis, autre caractéristique, les conflits, la compétition, autant de comportements qui ont l’air d’être encouragés, comme si l’on devait considérer ses collègues de travail comme des concurrents, voire des ennemis.
Enfin, dans l’entreprise, le sens et l’accomplissement de soi doivent venir d’ailleurs. Dans l’entreprise, le travail, c’est le travail, on est payé pour ça. Pour l’accomplissement de soi, allez voir ailleurs : à l’église, dans des communautés, où vous voulez, mais pas au travail. Même dans les entreprises qui ont formalisé une vision ou des valeurs, on a parfois l’impression qu’elles ne concernent pas la vie opérationnelle. L’entreprise est présentée comme un objet économique destiné à générer du cash pour les actionnaires.
Ainsi, du fait de toutes ces contraintes et stéréotypes, l’individu qui arrive dans l’entreprise devient une créature différente : il devient quelqu’un à qui on ne doit pas trop faire confiance, qu’il faut contrôler et manager ; il faut lui apprendre à s’habiller, et il faut l’empêcher de draguer ou d’être trop agréable avec ses collègues, surtout quand ils sont d’un niveau hiérarchique différent.
Alors, ainsi formatée, on en est sûr, c’est le top du top pour que l’entreprise soit la plus efficace, la plus performante que l’on puisse souhaiter.
Mais qui en sûr ? Qui croit à ça ?
En fait, cette certitude est tellement ancrée dans les esprits de certains dirigeants que, vu du salarié lui-même, il n’y a finalement que deux moments, selon l’âge, qui sont particulièrement appréciés dans la vie de l’entreprise : les vacances, et la retraite.
Alors, on peut se demander si cette segmentation est vraiment le modèle idéal pour être une entreprise efficace.
Cette histoire de séparation de la vie de l’entreprise et de la vie privée, on finit par se demander quelle est sa signification.
Et si, pour rendre l’entreprise plus performante, il fallait faire l’inverse ?
Non pas organiser des séances de speed dating dans les bureaux, mais considérer les employés comme vivant dans l’entreprise de façon complète, et non en ayant laissé à la porte une partie (l’essentiel ?) de leur personne.
Et puis cette vie privée qui a l’air de faire tellement peur, en quoi est elle dangereuse pour l’entreprise ? Et si elle pouvait apporter des bénéfices ?
Des exemples ?
Et si les employés utilisaient leurs amis, leur famille, pour trouver des clients, pour diffuser une bonne image de l’entreprise. Ce bouche à oreille des collaborateurs ambassadeurs de leur entreprise peut avoir des effets extraordinaires. A l’inverse ceux qui colportent en permanence dans leur entourage tout le mal qu’ils pensent de leur chef ou des produits de l’entreprise ont des effets ravageurs.
Et si les bonnes relations entre les collaborateurs, drague ou pas, amour ou amitié, faisaient naître des formes d’entraide entre les collaborateurs qui sont peut être bénéfiques pour l’efficacité de l’organisation. En tous cas, qui peut certifier que les effets ne peuvent être que négatifs ? Pense-t-on vraiment que ce sont les organigrammes et les fiches de poste qui déterminent la performance d’une entreprise ? Et si le jeune chef de produit, plein d’admiration pour son chef de service, a envie de toujours lui prouver qu’il fait bien son travail, finalement, en quoi est ce un problème ? Et si mon collègue, avec qui j’ai plaisir à être, devenait mon coach pour me faire mieux progresser dans mon travail ?
Bien sûr, il faut trouver un bon équilibre, et ne pas transformer l’entreprise en un lieu bordélique, où les employés peuvent venir quand ils veulent avec chiens et enfants, dans des tenues cool, et improviser des pique-niques dans les bureaux autour d’un barbecue… Mais le risque de tomber dans cette caricature est limité. Dans de nombreuses entreprises, on n’en est pas là, loin s’en faut !
Pour trouver cet équilibre, quelques règles simples sont suffisantes, mais pas les mêmes que celles vues précédemment.
Par exemple, ne pas permettre des comportements dans l’entreprise que l’on ne tolèrerait pas dans la vie sociale : la politesse, le respect sont de bons exemples.
Mais il est facile de voir que laisser à la porte de l’entreprise ses émotions, ses sentiments, sa vraie nature, cela demande de l’énergie et des efforts que nombreux se sentent incapables de fournir, et puis pour quels résultats : le stress, la mauvaise santé mentale, et parfois physique, etc…
Mais alors, comment faire pour éviter le bazar tout en respectant les personnes ?
En fait, il faut permettre aux collaborateurs de découvrir ce qu’est l’entreprise où il a choisi de vivre, quels sons ses valeurs, sa vision, son éthique, ses objectifs, et leur permettre de s’y retrouver, et mettre leurs comportements en harmonie avec cette entreprise.
Bien sûr, cela suppose que l’entreprise, et ses dirigeants, aient pris le temps et la responsabilité de réfléchir à ces valeurs partagées, à cette vision.
Dans cette réflexion, l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise peuvent être vus autrement . Le monde du Consulting connaît bien cette notion de casting où , en fonction de la personnalité du client, du type de mission, tel ou tel consultant, de par sa personnalité, sera ou non adapté. Ce casting à partir des personnes, il est tout aussi vrai dans d’autres contextes professionnels. Tel collaborateur sera plus à l’aise avec telle responsabilité, tel autre a besoin de plus de support. Construire l’entreprise, et la développer, c’est ce continuel assemblage de talents. Quand l’assemblage est le bon, on sent l’efficacité des équipes et des projets. Inversement, quand tout va mal, quand les résultats s’effondrent, que les chefs traitent leurs collaborateurs d’incapables, c’est que l’on s’est trompé.
Alors, pour rendre l’entreprise excellente, il n’est finalement pas si sûr qu’il suffise d’écrire que l’entrée en est interdite aux dragueurs…..