Faut-il arrêter de respirer pour changer de sens ?
24 septembre 2006
Il s’appelle Charles-Edouard, mais maintenant on l’appelle « Charly » ;
Il portait costumes et cravates, mais maintenant il est en chemise et pantalon sport ;
Il a fait X-Ponts Stanford, travaillait pour SAP (dont on voit ainsi les failles de ses "valeurs fondamentales"), mais maintenant il travaille pour l’abbé Pierre ;
Cet étrange personnage a été déniché par Le Figaro de vendredi dernier (22/09) pour illustrer un article de la rubrique Société : « Les surdiplômés affluent vers l’humanitaire ».
Les cas cités sont ceux de diplômés qui ont commencé leur parcours dans une entreprise, et qui s’engagent, à cause de déceptions, dans des causes humanitaires, dans un « virage à 180° ». Certains s’engagent dès la sortie de l’école, déçus d’avance par le monde de l’entreprise.
Ils viennent de sociétés de services : SAP, sociétés informatiques.
Et puis quelque chose s’est passé, un voyage en Afrique, une prise de conscience…une envie de « donner du sens à sa vie ».
La messe est dite : l’entreprise est, pour ces jeunes, un lieu d’abrutissement, sans aucun sens.
Les mots pour l’entreprise sont très durs :
« Aujourd’hui, j’aide les gens en difficulté. Je ne travaille plus pour renforcer la rentabilité d’un groupe » (Sophie, HEC).
« D’un côté, avec mon travail, j’enrichissais les actionnaires, et de l’autre, je donnais parfois un euro à des gens qui faisaient la manche dans le RER. » (Charles-Edouard, pardon, Charly, qui maintenant donne moins aux actionnaires et davantage aux pauvres.)
« Je sais désormais pourquoi je me bats, j’ai le sentiment d’être dans le vrai. » (Charly, encore et toujours).
Rien à redire, bien sûr, sur les choix de ces jeunes diplômés, et l’article souligne combien les associations humanitaires tirent bénéfices de cet engouement (ils y mettent même en place des méthodes modernes de gestion, on ne se refait pas totalement, n’est-ce pas Charly, pardon, Charles-Edouard).
Non, ce qui interpelle, ce sont ces discours sur l’absence de sens dans le monde de l’entreprise, cet acharnement contre la « rentabilité », la « satisfaction de l’actionnaire ». Toujours la même histoire !
Cela nous confirme combien la vision et les valeurs sont des ingrédients forts de la fidélisation des collaborateurs, à condition qu’elles soient sincères, et non issues d’une cogitation de la Direction de la Communication.
Dennis W. Bakke, co-fondateur et Président de AES, producteur et distributeur d’électricité, jusqu’en 2002, vient de publier ses réflexions sur cette expérience, et insiste justement sur cet acharnement qu’il a eu à toujours rechercher à donner et faire partager les valeurs et le sens auxquels il croyait avec l’ensemble des collaborateurs.
Une anecdote rapportée illustre aussi son souci de mettre en évidence le rôle de son entreprise dans la société.
Il raconte une entrevue avec Eduard Shevardnadze, Président de la république de Géorgie, client de AES, qui l’accueillit avec les remerciements suivants :
« Distribuer l’électricité aux habitants de Tbilisi ( capitale de la Géorgie) au milieu de l’hiver a empêché les émeutes dans la population, et a aussi sauvé mon job. C’est la première fois que nous avons eu de la lumière et du chauffage pendant une partie significative de l’hiver ».
Bien sûr, ce noble objectif n’exclut pas la nécessité de faire des profits, mais le danger est de considérer que tout ce qui concerne autre chose que les profits n’est que la partie « soft » des affaires, le côté sensible, c'est-à-dire l’aspect moins important.
Dennis W. Bakke cite une formule utilisée par Max De Pree, auteur de nombreux ouvrages sur le management, pour illustrer ce dilemme :
« Les profits sont comme la respiration. Respirer n’est pas le but de la vie, mais c’est ce qui vous permet de rester en vie ».
Il est certain en tous cas que, pour satisfaire et garder les Charles-Edouard et les Sophie de nos entreprises, ceux qui ne sont encore partis chez l’Abbé Pierre, nous allons avoir besoin de respiration…mais surtout de souffle.
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