Savez-vous cuisiner les carottes ?
05 août 2006
Il est une pratique de management qui semble complètement intégrée dans l’imaginaire des dirigeants d’entreprise, c’est la rémunération variable en fonction des performances.
Derrière cette expression on entend le fait de réserver une part de la rémunération à l’atteinte d’un niveau de performance objectif.
Même les entreprises publiques et les Administrations s’y mettent.
En théorie, tout est simple dans cette pratique.
Les ventes baissent ? Augmentons les variables des vendeurs.
Le service client est défaillant ? Vite, on promet des primes aux collaborateurs du service pour faire remonter le taux de satisfaction des clients.
Les avions décollent en retard ? Prime pour les pilotes qui font partir les avions à l’heure.
L’hôpital n’est pas performant ? Prime pour les employés et les médecins.
Bercy va se réformer ? Thierry Breton met en place les rémunérations variables.
ETC…
De quoi parle-t-on en fait ?
Le but de ces systèmes est de motiver les collaborateurs les plus performants, et donc par principe de créer des écarts plus forts entre les rémunérations des meilleurs et des moins bons.
Alors si c’est si simple, pourquoi a-t- on souvent l’impression que ces systèmes n’ont que peu d’impact sur la motivation des collaborateurs ?
Pourquoi crée-t-on ainsi ces différences ?
Parce que l’on est intimement persuadé que :
1. Les collaborateurs qui sont les plus performants, qui contribuent le plus, veulent être reconnus,
2. Les collaborateurs croient qu’il serait injuste qu’ils aient les mêmes rémunérations que leurs collègues qui ne fournissent pas les mêmes efforts qu’eux, ou ont de moins bons résultats, et donc la plupart des collaborateurs préfèrent les systèmes de rémunérations les plus dispersés.
La vraie vie des entreprises nous montre pourtant tout autre chose.
En effet, la plupart des collaborateurs s’estiment, au fond d’eux-mêmes, comme supérieurs à la moyenne, et ne conçoivent cette discrimination que si elle se traduit, pour eux, par une appréciation positive.
Cette attitude, tout manager amené à évaluer ses collaborateurs, la ressent très bien.
Seul le cas où la rémunération variable est versée sur des critères purement quantitatifs, mesurables sans ambiguïté, permet d’éviter ce problème, mais les critères sont très rarement strictement quantitatifs et objectifs.
Dans tous les autres cas, une différence de perception entre le manager et le collaborateur, qui se voit toujours meilleur, a de fortes chances d’apparaître.
Deux attitudes vont alors se rencontrer :
- Le manager modifie son appréciation, au point de lisser très fortement les appréciations d’un collaborateur à l’autre, évitant ainsi d’avoir des mécontents dans son équipe, mais ainsi il frustrera ceux qui auraient voulu être mieux évalués que leurs pairs (c'est-à-dire presque tout le monde),
- Le manager va rester sur sa position, frustrant ainsi son collaborateur, qui va ressentir que son manager, et plus largement son entreprise, sous-évalue et dénigre son travail.
Conclusion : la plupart des systèmes de rémunérations variables ont pour conséquences d’accroître les insatisfactions et les frustrations, ou bien sont complètement contournés en pratique.
Une version encore plus sophistiquée de ces systèmes, pour éviter justement les déviances, consiste à exiger des managers qu’ils différencient leurs appréciations, en distinguant les « top performers », les « average » et les « loosers », avec parfois des quotas imposés, par exemple 10% de « loosers ». Ce système a été notamment abondamment popularisé par Jack Welsh qui en faisait un critère de réussite de sa méthode de management pour General Electric.
Cette idée que chaque année, il fallait se débarrasser des 10% les moins bons des collaborateurs était devenu un dogme. On l’entend encore citer en exemple par des dirigeants français, qui ne le pratiquent pas forcément pour autant en réalité.
De nombreux dirigeants baissent les bras, et laissent ronronner ces systèmes d’évaluation et de récompense, en constatant passivement que les écarts entre les mieux et les moins bien rémunérés restent, somme toute, assez modestes, voire symboliques, et que tout le monde est content avec ça.
En fait, ces systèmes de rémunération au mérite sont surtout efficaces quand la performance est complètement individuelle : c’est le cas du jockey ou du conducteur de bus, dont on peut mesurer la performance lors de la course, ou la capacité à prendre soin de son bus.
Mais, dans le cas où l’entreprise a besoin du travail d’équipe pour être performante, les rémunérations individuelles peuvent être contre productives : En créant des conflits internes, des phénomènes de compétition, des non coopérations, un manque de solidarité, des jalousies, du ressentiment, bref autant de phénomènes dont on aimerait bien se passer, les systèmes de rémunération des performances peuvent faire faire des bêtises.
Bien sûr, on cherchera toujours à améliorer ces systèmes, en ajoutant des doses de rémunérations basées sur la performance de l’équipe, ou de l’atteinte d’un résultat par un groupe de collaborateurs solidaires. Tout est possible, pour la plus grande satisfaction des Directeurs des Ressources Humaines et des consultants en systèmes de rémunérations, le business semble inépuisable…
Et pourtant, de nombreuses enquêtes montrent que la vraie motivation pour la performance, et la performance elle-même, proviennent très rarement de ces systèmes de variabilisation.
Souvent quand je demande à un manager si ces systèmes sont efficaces, il répondra que oui, ses collaborateurs sont probablement motivés par ces bonus, mais que lui, non, lui c’est différent, il n’est pas motivé comme ça, comme un âne par une carotte, non, lui il aime son travail, il se donne pour le travail bien fait, la satisfaction de désirs de perfection,l’amour du client, que sais-je, comme si il y avait un peu de honte à dire crûment « je travaille pour le fric »… Pas facile de décrypter cette psychologie.
Alors, que faire ? Comment bien utiliser les systèmes de rémunérations ?
J’ai trouvé quelques suggestions dans l’ouvrage sur « Evidence Based Management » de Pfeffer et Sutton. (oui, encore eux, les mêmes qui parlent du contrôle de l’entreprise par les managers).
Ça tient en quatre points :
- Ne tentez pas de résoudre tous les problèmes avec des intéressements financiers
Les collaborateurs s’adaptent facilement aux variables et bonus, au point de considérer rapidement qu’ils sont dus d’une manière ou d’une autre.
Pour que les bénéfices des intéressements financiers soient mieux compris, pourquoi ne pas aussi parler aux collaborateurs de la stratégie de l’entreprise, de ses priorités, de sa vision. Il est bon que, en plus des bénéfices financiers, les collaborateurs sentent qu’ils peuvent compter sur d’autres bénéfices tels que le fait d’être membres d’une équipe qu’ils apprécient, et que leur travail est utile aux autres, et aussi aux clients.
En fait, il s’agit d’identifier tout ce qui constitue la motivation, le plaisir des collaborateurs, et d’y être attentif.
- Parfois Moins est plus efficace
Oui, parfois une petite chose a plus de prix que l’argent.
Ces choses qui n’ont pas de prix et qui valent beaucoup : dire MERCI, manifester de la reconnaissance,…
A chacun de trouver tous ces petits « plus » qui donnent de la valeur.
Plus difficile que « puisque je te paye, je peux te demander n’importe quoi, surtout l’impossible ».
- Attention à ce que vous attendez du système, vous risquez de l’obtenir
Il n’est pas toujours évident de prévoir les vrais effets des systèmes d’incitation. C’est pourquoi il est prudent de toujours s’interroger sur ce qui peut aller mal si les collaborateurs adoptent des comportements trop strictement alignés sur les critères d’obtention des variables : on identifiera ainsi des contradictions. Par exemple, si le critère est le respect des délais de livraison, ne verra-t-on pas les employés systématiquement proposer des délais trop longs au client, pour être sûrs de les tenir. Si le critère est la productivité des vendeurs, ne verra-t-on pas ces vendeurs expédier les clients, surtout ceux qui ne se décident pas facilement à acheter, pour se ruer sur les ventes faciles. Etc…
Il est bon de toujours considérer que le système de rémunérations est un prototype en perpétuelle évolution, et non une structure immuable, que l’on suit à la lettre, même si il dérègle nos comportements.
- Préoccupez vous des comparaisons et de l’équité, pas seulement des individus et des niveaux de rémunérations
Les collaborateurs se comparent entre eux.
Les écarts de rémunérations ont donc aussi des valeurs symboliques qu’il convient de comprendre. Une différence entre un collaborateur et un autre qui pourrait paraître triviale, par exemple moins de 1000 € sur un salaire annuel de 40.000 €, peut être interprété par le collaborateur le moins payé comme la reconnaissance d’une valeur supérieure à son collègue qu’il n’accepte pas.
Les plus faibles écarts peuvent donc avoir des conséquences importantes.
Il est donc important, en structurant nos systèmes de rémunérations, d’être extrêmement attentifs à tous ces éléments symboliques.
Ceci concerne aussi les écarts de rémunérations entre le senior management et les collaborateurs : si le collaborateur interprète le système comme la révélation qu’il ne compte pas beaucoup dans l’entreprise, comment s’étonner qu’il ne soucie pas trop de bien faire son travail ? Tous les signaux qui montreront que la performance est collective, et les fruits partagés, seront bénéfiques pour susciter la créativité, les efforts de tous, bref pour la durabilité de la performance de l’entreprise.
En fait, pour que la performance soit durable et la motivation continue, il n’est pas suffisant de prévoir des carottes et de les agiter devant les collaborateurs. Il faut plutôt être bon cuisinier, attentif aux goûts et à la psychologie de chacun.
Oui, si l’on ne sait pas cuisiner les carottes, et préparer de vrais repas, avec le service qui va avec, l'ambiance, la décoration, l'accueil, l"expérience", le risque est fort de ne voir rester dans notre entreprise que des ânes et quelques lapins.
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Rédigé par : collaborateur | 25 septembre 2006 à 15:17