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La politique est-elle contaminée par la gestion ?

Plagepolitique L'été, c'est le moment où l'on abandonne le quotidien des affaires pour certains. Pour d'autres, c'est le moment de faire un bilan des mois passé, de se préparer à la rentrée. Pour les politiques, c'est le dernier été avant la course des élections de 2007, dont la Présidentielle. Alors ça révise dur en ce moment sur les bateaux (François Hollande lit "l'histoire de France pour les Nuls" !!). (merci à What's next).

Le Figaro consacre ces jours-ci une série aux questions qui vont marquer la prochaine élection, en interrogeant des hommes politiques (pas de femme pour le moment) de différents partis. Pour le moment il y a eu Jean-Christophe Cambadélis (PS), Jean-Louis Debré (UMP), Jean-Luc Bennahmias (Verts), et Jean-Claude Martinez (FN) : oui, vous avez remarqué, pour être interrogé sur les enjeux 2007, il vaut mieux s'appeler Jean quelque chose....

Ce qui frappe dans ces déclarations, surtout au sein des partis que l'on appelle "de gouvernement" parce que candidats à exercer le pouvoir , c'est la tendance à parler de la politique comme si la France était une entreprise à gérer. Le plus acharné, c'est Jean-Christophe Cambadélis :

"La plupart des candidats potentiels à la présidentielle se positionnent sur des thématiques sociales plutôt que sur la croissance économique. Seuls François Hollande et Dominique Strauss-Kahn évoquent la nécessité de créer de la croissance pour permettre de redistribuer les richesses."

"La question de la modernité va tenailler cette présidentielle. L'enjeu, c'est l'ouverture d'un nouveau cycle."

Pour Jean-Louis Debré, la question se pose presque de la même façon, même si les réponses sont présentées différemment :

"La présidentielle, c'est d'abord le choix d'un modèle économique et social. D'un côté il y a, à gauche, les tenants de l'interventionnisme et de l'étatisme.Pour eux, le salut de l"économie passe par l'administration et l'Etat. En clair, c'est toujours plus de fonctionnaires, plus de réglementations. A droite, il y a une ligne claire à définir entre ceux qui rêvent d'un libéralisme débridé, sans règle, où le marché doit régner en maître, et ceux, dont je suis, qui veulent un libéralisme ordonné.(...). De ce choix économique découle le modèle social que nous souhaitons.

Cette tendance des hommes politiques à fonder l'efficacité de leur action dans un modèle trés managérial n'est elle pas la cause de la désaffection des citoyens pour la vie publique et la politique ?

On a l'impression que le débat politique ressemble à un débat de conseil d'administration, autour de problèmes économiques. Les considérations économiques sont clairement affichées comme surdéterminant tous les registres de la vie sociale. Les hommes politiques sont des sortes d'hommes d'affaires, à l'image des managers dynamiques, et se mettent à enfourcher ce discours de l'efficacité, de la performance, de la réduction des effectifs. On fait même appel à des hommes de l'entreprise, aptes à gérer l'Etat comme ils ont géré des entreprises (on l'a vu à gauche comme à droite,et en ce moment avec Thierry Breton, qui ne manque jamais une occasion de comparer son action à Bercy avec son expérience chez Thomson ou France Télécom).

Ce qui est surprenant c'est que cette tendance s'amplifie précisément au moment où ce discours excessivement gestionnaire commence à être remis en cause dans le monde de l'entreprise : ces discours sur la performance, l'excellence, le "toujours plus", la satisfaction de l'actionnaire,... ne suffisent plus pour motiver les salariés et les cadres. Les collaborateurs demandent aujourd'hui de la reconnaissance, et du sens pour adhérer à l'entreprise. Cette remise en cause du modèle trop exclusivement financier et économique s'accompagne aussi parfois de souffrances réelles, qui obligent les entreprises et leurs leaders à chercher d'autres voies et d'autres méthodes. (voir le Manifeste Zone Franche, ICI, ).

C'est précisément à ce moment que les politiques font l'inverse. On assiste à une obsession du chiffre dans les discours politiques, par exemple autour de la dette publique ou des déficits. On nous commente tous les mois les taux de croissance, les taux de chômage, et autres statistiques et indicateurs. On ne débat plus directement de l'organisation de notre vie en société, de la démocratie, du bien-être de la population, des finalités de l'existence humaine.

C'est le chiffre qui envahit le débat politique.

Les taux de chômage ou de la délinquance sont devenus les critères d'évaluation privilégiés du succés ou de l'échec d'une politique. On ne va pas manquer de se les envoyer à la figure, c'est sûr, lors de la prochaine élection, qui, sur ce point, va terriblement ressembler aux précédentes, non ?

Cette posture est probablement un piège terrible pour le politique , car il transforme les citoyens en clients, ou en actionnaires : ils appliquent au politique des critères d'évaluation qui ont cours dans le monde du travail, et, de même que le conseil d'administration se débarasse du dirigeant qui n'apporte pas une rentabilité suffisante, le citoyen-électeur rejette les hommes politiques insuffisamment efficaces avec son bulletin de vote. La politique devient une espèce de marché où la côte des uns et des autres fluctue au rythme des sondages.

Et le politique  accentue ce phénomène en considérant lui-même le citoyen comme un client : il faut être "à l'écoute du terrain", comme pour sentir les goûts du consommateur. Il faut être "pragmatique", c'est à dire pouvoir dire des choses contradictoires, car ce type de pragmatisme n'est pas trés compatible avec des convictions trop fortes.

On en arrive à ce que le débat politique ne permet plus de discuter autour de projets de société, d'orientations pour l'avenir, de donner un idéal et du sens. Alors le citoyen va réagir comme un client exigeant, cherchant à optimiser pour lui, individuellement, sa relation avec un système politique qui est en fait assimilé à un centre de "service client", ou un bureau de réclamations : on va chercher à faire pression sur le prix du service de l'Etat (les impôts qu'il faut baisser; il est considéré comme un art de trouver toutes les astuces pour payer moins d'impôts, et tout contribuable qui ne pratiquerait pas ce sport serait vraiment un pauvre imbécile...).On va exiger des baisses de coûts, et demander des comptes.L'individualisme triomphe, et l'on ne parle pratiquement plus de la vie en société, du sens d'être ensemble dans le pays, en Europe, sur Terre.

Le politique, enfermé dans ce jeu, est obligé d'être hyper réactif, de réagir instantanémént à tous les imprévus de la vie, comme un entrepreneur qui ne conduirait son entreprise qu"avec une vision complètement court terme, réactive. Précisément l'attitude que l'on déconseille à tous les entrepreneurs qui veulent réussir dans une entreprise pérenne.

Oui, c'est en essayant de copier ce qui est en ce moment le plus questionné dans le monde de l'entreprise que les politiques sont en train de faire fausse route, et contribuent à l'abstention ou aux votes de réaction.

C'est pourquoi un discours qui va venir parler de sens, de développement durable, de projet de société, comme dans les entreprises qui ont bien compris le problème, ne peut que décadrer par rapport à ces pratiques. C'est le sens des déclarations de Nicolas Hulot, apparemment, qui s'est fait rembarrer par tous les "gestionnaires de la politique", de gauche comme de droite....

La dénonciation de cette contamination de la politique par la gestion n'est pourtant pas nouvelle. Vincent de Gaulejac, parmi de nombreux autres, l'a trés bien analysée dans son dernier ouvrage.

Mais on a l'impression qu'elle n'est pas perçue comme un danger. Les candidats remettent le couvert avec les mêmes attitudes.

C'est peut être pour ça que François Hollande lit l"histoire de France pour les Nuls" .

Que croyez vous qu'il arrivera ?

Commentaires

Tocvil

Oui et c'est un signe de l'évolution inéluctable de la société vers un dépérissement du politique et de l'action collective. Mais après tout, pourquoi s'en émouvoir ? Au contraire, ce dépérissement de l'Etat me paraît plutôt bon à partir du moment où il rétablit un équilibre entre les institutions et le citoyen. On ne peut plus "gérer" les gens comme on le faisait il y a cinquante ans; il va se produire une plus grande autonomisation des personnes, une tendance vers plus de liberté individuelle ou collective mais sur une base volontaire et non contrainte.

Zone Franche

Pourquoi s'en émouvoir ?
Il est peut être bon de rétablir un équilibre entre l'Etat et le citoyen, mais le risque mis en avant dans ma note est celui que les choix soient guidés uniquement par des intérêts individuels, le citoyen étant consommateur intéressé des services, et que l'on perde le sens de la gestion collective de la cité, et de la démocratie.
Je vous conseille de parcourir la thèse exprimée par De Gaulejac, qui exprime bien ces risques.
Un des risques forts à court terme est d'augmenter les abstentionnistes lors des élections.
Là où je vous rejoins, c'est que cette vision de "gérer les gens" va se transformer, et pas seulement dans le domaine de la politique.

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