"Mon second organe favori", c'est ainsi, paraît-il ,que Woody Allen désigne son cerveau.
La littérature managèriale et les recherches en Ressources Humaines sont perpétuellement agitées par une question profonde à son sujet : Est on Cerveau Droit ou Cerveau Gauche ?
Oui, vous connaissez forcément cette histoire, dont même Madame Figaro vous a révélé les secrets.
De quoi s'agit-il ?
Les neurologistes ont depuis longtemps mis en évidence que le cerveau était divisé en deux régions.
La partie gauche est considérée comme exprimant le rationnel, l'analytique, la logique (tout ce qu'on attend d'un brillant cerveau), et la droite le non-linéaire, l'instinct, l'émotion (un vestige qui subsiste des temps préhistoriques).
Les scientifiques, depuis le XIX éme Siècle, ont toujours considéré que la partie gauche est ce qui caractérise la partie essentielle de l'être humain.
Et puis, à la faveur de recherches ultérieures, la partie Droite a retrouvé grâce à leurs yeux : elle n'est plus considérée comme inférieure mais comme différente. Le cerveau droit est devenu la nouvelle star : c'est lui qui nous rend réel, humain, c'est le signe que l'on est un vrai.
Et deux conceptions complètement débiles envahissent la littérature et les théories des coachs et penseurs du "développement personnel" en tous genres.
La première conception, c'est celle du "le cerveau droit, notre sauveur" .
Ses adeptes considèrent que le cerveau droit est dépositaire de tout ce qui est positif dans l'homme, tout ce qui est bon et noble. Pour ceux là, vous dire "vous ne seriez pas Cerveau Gauche ?", c'est vous dire "vous ne seriez pas un gros crétin buté et brutal" ?; et "Vous êtes Cerveau Droit", ça veut dire "Quel homme de goût vous êtes !".
Alors, sont apparues des nouvelles notions de "cuisine Cerveau Droit", d'"Education des enfants Cerveau Droit", de "Jeux Cerveau Droit", et pourquoi pas des "coachs Cerveau Droit", des "Consultants Cerveau Droit", etc.... Les rayons des librairies en sont plein ! La vague New Age, les formations en tout genre vaguement connotées Zen et boudhisme.
La deuxième conception est venue en réaction : c'est celle qui va dire que, oui, ces histoires de cerveau droit, c'est gentil, mais n'est ce pas le signe d'un ramolissement général de l'espèce humaine ? Car ce qui nous distingue de l'animal, c'est quand même notre capacité à analyser et développer la connaissance scientifique, non ? Alors les adeptes du cerveau droit ne sont ils pas les saboteurs du progrés social et économique ? Oui, ces drôles d'adorateurs du cerveau droit, êtres sensibles et sans nerfs, que cherchent ils ? etc... Bref, pour ces scientifiques "couillus", le cerveau droit, c'est important, mais quand même quelque chose d'inférieur.
Cette opposition factice entre les deux cerveaux, comme une guerre de religion, je l'ai trouvée parfaitement décrite dans l'ouvrage de Daniel H. Pink, paru l'année dernière, "A whole New Mind".
Il nous rappelle que, effectivement, il y a deux catégories de personnes dans le Monde : celles qui croit qu'il existe deux catégories de personnes dans le Monde, et les autres.
Son ouvrage est en fait un plaidoyer pour ce qu'il appelle le "Conceptual Age", qui succède à l'"informational age",où , pour s'y adapter, il va nous falloir à la fois un cerveau gauche et un cerveau droit, "A whole New Mind". Il réconcilie cerveau gauche et cerveau droit pour nous proposer de nouveaux comportements.
Ce n'est plus de plaisir ou de science dont nous avons besoin, mais d'un nouveau sens.
A l'ère de l' "information age", le cerveau gauche avait tout avantage; mais trois phénomènes sont venus tout remettre en cause : l'Abondance, l'Asie et l'Automatisation.
L'Abondance, c'est la caractéristique de notre temps : pour celui qui a la chance de vivre dans un pays développé, tout est disponible, et les coûts de plus en plus bas. Ce qui fait la différence entre les produits, ce n'est plus leur fonction de base, toutes sont déjà comblées, mais le petit plus émotionnel, l'expérience...Eh oui, c'est à dire tout ce que voit notre cerveau droit... et il faut donc un peu de cerveau droit dans le marketing et les services : du design, de l'humour, de la mise en scène,...
L'Asie, c'est pour faire référence à tout ce que l'on peut fabriquer à des coûts main d'oeuvre moins chers en Asie qu'en Europe ou aux Etats-Unis, alors ce qu'il faut dans nos produits pour résister, c'est de l'innovation, des relations humaines, la capacité à faire durer une relation client, oui, encore, du cerveau droit...
L'Automatisation, c'est tout ce que peuvent faire les ordinateurs, calculer vite, étudier toutes les possiblités, même les juristes et les comptables sont menacés par ces programmes qui étudient les cas et recherchent les solutions. Alors, il reste quoi ? L'intuition, la vue d'ensemble, c'est à dire, encore, l'usage du cerveau droit, associé au cerveau gauche.
Alors dans un monde où tenter de faire plus, moins cher et plus vite ne permet plus de faire la différence, que faut il faire ?
Dan Pink nous donne la liste des six nouveaux sens qu'il nous faut maîtriser pour être adapté à ce "Conceptual Age" :
- Design : il ne faut pas seulement créer un produit ou un service, mais créer quelque chose de beau, une expérience (même idée chez Gilmore, dont j'ai déjà parlé);
- Raconter des histoires: il ne s'agit plus d'argumenter pour convaincre, il faut séduire, raconter de belles histoires (Deteuf l'avait déjà dit au début du XX ème siècle),
- Ne pas être seulement spécialisé, focus, mais aussi voir large, être capable d'intégrer, de faire fonctionner en cohérence, comme une symphonie (tiens, c'est comme ma barbie dilettante..),
- Ne pas être seulement logique, mais empathique : tous les outils d'analyse existent, mais qui fera la différence grâce à son sens des relations et des situations ?
- Ne pas prendre tout au sérieux, mais savoir s'amuser : dans le "Conceptual Age", "We need to play",
- Ne pas accumuler des connaissances, elles deviennent toutes vite obsolètes, et on trouve tout dans Google ou Wikipedia, mais plutôt trouver le "Meaning", donner du sens, à sa vie, à son travail...
Bref, un bon livre, qui reprend de nombreux concepts que j'ai déjà abordés ici, présentés agréablement, avec des petits exercices et des résumés qui permettent d'en faire un manuel portatif pour s'adapter dans le "conceptual age" mieux que les autres et surtout avant les autres ...
Facile à retenir en six mots clés : Design, Story, Symphony, Empathy, Play, Meaning.
Ces six sens sont un kit de survie indispensable.
On est bien loin des caricatures évoquées au début de cette note : ce livre nous apprend aussi à nous en méfier.