Pauvre petite fille riche
25 juin 2006
D'habitude, elle est toujours occupée, chaque fois que je passe prés d'elle.
Là, je l'ai sentie seule, vide.
Elle voulait me dire quelque chose, alors je me suis approché.
Les personnes qui l'occupent en permanence, elle les connaît bien; Chacun a ses manières. Elle est la pauvre petite fille riche de l'entreprise.
Chaque lundi matin, de bonne heure, l'ambiance est sérieuse, ils aiment son odeur, ils terminent un peu leur nuit avec elle parfois,le café circule, elle est agréable.Ils parlent beaucoup, mais en fait ce n'est pas toujours vraiment intéressant et, parfois, elle aurait envie de leur dire qu'ils auraient mieux fait de rester couchés, plutôt que de venir la déranger ainsi. Elle reste discrète, car les échanges de regards en disent aussi beaucoup.
Elle est aussi toujours concernée par les "revues de performance", ça dure des heures, tous les sujets y passent : ça consiste à feuilleter des pages de chiffres sur des feuilles excel, avec des graphiques. Elle aime la nostalgie des ces moments, où l'on parle beaucoup du passé, mais malheureusement surtout des choses mauvaises, pas assez des bons moments. Mis comme elle est curieuse, elle trouve souvent qu'on ne parle pas assez du futur.
En fait, elle s'est bien rendue compte que tous les personnages qui la fréquentent perdent beaucoup de temps avant de conclure. Souvent ils ne prennent pas de décisions; parfois ils sont en conflit, et elle est bien utile pour apporter un terrain neutre.Mais l'ambiance n'est pas toujours trés bonne, et elle n'y peut pas grand chose. Elle a tout ce qui faut pour qu'ils se tiennent à bonne distance, mais ça ne suffit pas toujours.
Aujourd'hui, dans l'entreprise, avec ces organisations matricielles, chaque personnage a plusieurs facettes : il est directeur de la Business Unit TrucMarrant, mais aussi en charge d'une zone géographique, et aussi "Process Owner" du process " Order to cash"...Alors , évidemment, ce personnage, avec toutes ses responsabilités emmélées, elle n'arrête pas de la voir, il vient la voir plusieurs fois par jour, accompagné de personnes à chaque fois différentes. Elle s'est habitué à lui; elle voit bien que tout ça le fatigue; on a l'impression parfois qu'il est épuisé. Alors elle est là pour l'écouter, lui apporter un peu de confort. Elle aimerait lui suggérer de réduire les multiples objectifs qu'il se croit obligé de surveiller en même temps; lui suggérer de faire plus confiance à ses collaborateurs, mais lui il est acharné, il veut tout voir et tout comprendre. En fait, elle le sent bien, il ne peut plus se passer d'elle; il est accro, ça lui donne le sentiment d'exister et d'avoir du pouvoir de constamment venir la voir. En plus elle est tellement gentille, toujours disponible. Elle a entendu son nom hier dans une conversation secrète entre grands chefs; il va être nommé responsable d'une nouvelle "cross fonctionnal team", encore un nouveau truc; elle sait qu'elle va encore le voir un peu plus....
Elle n'ose pas lui dire que ça serait peut-être mieux si l'on se passait d'elle de temps en temps.
Elle pourrait aussi lui dire qu'il existe plein d'autres façons de travailler aujourd'hui, avec les outils technologiques d'échanges de connaissances, mais elle a peur qu'il le prenne mal, ou qu'il lui répéte ce qu'elle entend souvent : "mais on a toujours fait comme ça, pourquoi changer". Ou bien " tu veux nous faire faire des dépenses toi encore, tu sais bien que c'est pas le genre de la maison, et puis nous on aime le contact, entre hommes, alors restes là ..".
Un moment, quand elle a vu l'entreprise grandir, devenir internationale, avec des collaborateurs par dizaines de miliers à travers le monde, elle s'est dit que là, par nécessité, on allait la laisser tranquille. Mais non, ça continue. Le matin, débarqués du train ou de l'avion de bonne heure, ils arrivent le costume froissé, une petite valise à la main, et se précipitent vers elle. Ils vont l'occuper toute la journée. A midi, ils ammènent leurs sandwiches, ou des plateaux repas, ils ne la laissent jamais en paix.
Oui, j'ai bien compris ta peine, pauvre petite fille riche qu'on appelle "la salle de réunion"...
Bon courage ! quand je verrai tes bourreaux, j'essayerai de leur expliquer, mais pas sûr que j'y réussisse...
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