Le fourmi-management
22 juin 2006
"La fourmi est un animal intelligent collectivement et stupide individuellement; l'homme, c'est l'inverse"
Cette citation de l'éthologue (spécialiste de l'étude des comportements) Karl Von Frisch figure dans l'ouvrage d'Olivier Zara, "Le management de l'intelligence collective".
Elle dit bien toute la difficulté à concevoir et faire fonctionner correctement le travail en groupe et en équipe. C'est vrai qu'il est facile d'associer les masses, les groupes à des troupeaux abrutis, alors que le héros qui décide seul et emmène ses troupes à l'assaut, ça, ça a de l'allure, et on aime bien y croire; que de beaux films on fait avec tous ces héros, et que d'opéras aussi.
Comment s'étonner que toute cette symbolique imaginaire imprègne tellement les cultures qu'elle rend trés difficile de faire coopérer les individus dans des projets collectifs pour l'entreprise ?
Je me souviens d'un Directeur Général qui m'avait présenté avec fierté les membres de son tout nouveau Comité de Direction : à l'Industrie, il y avait un ancien de Valéo, au Marketing un super pro de la Distribution, aux RH un vrai dur qui avait conduit des multitudes de plans sociaux, etc... Quel casting; lorsqu'il m'a invité à participer à une des réunions de ce comité fantastique, j'avais l'impression d'aller à Hollywood... Et bien oui, c'était comme à Hollywood : un vrai combat de stars : "Moi chez Valéo, c'était comme ça, donc il faut faire comme ça", "Moi, le marketing ça me connaît, voici comment il faut faire", "les RH, ça se manage comme ci et comme ça, c'est mon expérience extraordinaire qui vous le dit",... quelle catastrophe !
On le constate tous les jours ce phénomène : il ne suffit pas de mettre ensemble les meilleurs pour que tout roule tout seul. Sans parler des cas où l'on n'a même pas l'ensemble des compétences nécessaires.
Il peut paraître évident que l'entreprise moderne, celle qui est performante, ne peut pas se concevoir autrement qu'en mettant en oeuvre cette "intelligence collective", mais tout le problème est de savoir comment faire. Les dirigeants manquent souvent de repères.
Olivier Zara est un auteur utile pour identifier les bonnes pistes. Il nous rappelle notamment que tous ceux qui tentent de prendre le problème en mettant en place des outils de "knowledge management", de "capitalisation" font fausse route.
Pour favoriser "l'entreprise intelligente", il faut passer par trois étapes, qui se chevauchent constamment :
- d'abord, Vouloir coopérer : il s'agit ici de la culture, des valeurs, qui font que les collaborateurs ont envie de partager, d'aider les autres, l'auteur imagine même de mettre en place des "contrats collaboratifs", qui viennent s'ajouter aux contrats d'objectifs qui encadrent les responsabilités individuelles; cette culture du respect de l'autre, de l'écoute, on ne la rencontre pas partout;
- ensuite, Savoir coopérer : il ne suffit pas d'avoir envie, il faut aussi savoir comment; les techniques de management collectif sont souvent mal connues (ou bien oubliées) des collaborateurs, surtout les plus experts dans leur domaine, ou les chefs : ces individus ont accumulé tellement de certitudes qu'ils rendent impossible tout travail de groupe; ces réunions pleines de bruit où tout le monde coupe la parole aux autres, quelle horreur...Oui, savoir coopérer s'apprend, et il vaut mieux avoir appris assez jeune;
- enfin, Pouvoir coopérer : là, on arrive aux outils, aux technologies, qui vont aider à rendre concrets ces Vouloir et Savoir coopérer; En fait, tout est possible, mais on constate combien de nombreux outils mis en place ne sont jamais utilisés, ou trés peu; aujourd'hui on parle des wikis, plate-formes multi-utilisateurs, qui permettent, selon le modèle de Wikipédia, de créer de véritables lieux d'échanges et de travail collectif. Cet axe est en fait le plus facile.
Un domaine où cette coopération est cependant contre-productive c'est celle de la décision.
Il est recommandé de favoriser la réflexion collective, mais la décision elle-même en individuel offre des avantages :
"Plus la décision est collective et plus elle sera stable dans le temps, difficile à remettre en cause, rigide,
Moins la décision est collective et plus elle sera flexible, adaptable, facile à changer ou à supprimer."
Olivier Zara met en évidence combien une décision collective est peu flexible, alors que la survie de l'entreprise est liée à sa vitesse de déplacement (capacité à adapter une décision aux besoins des clients, aux contraintes des fournisseurs, aux nouveaux produits, aux concurrents) et non à l'intensité de son immobilisme.
En fait tous les phénomènes de décisions collectives, qui permettent de justifier les "on change pas puisqu'on a dit qu'on ferait comme ça" conduisent à la déresponsabilisation.
Par contre la capacité d'un dirigeant, d'une entreprise, à organiser la réflexion collective est un vrai atout. Dommage que de nombreux dirigeants fassent systématiquement l'inverse.
De bonnes remarques et réflexions pour mettre en oeuvre un vrai "fourmi-management".
Excellente réflexion. Dans mon équipe, j'ai remarqué que les personnes se donnent à fond pour traiter un dossier individuel mais je ne retrouve pas cet investissement lorsque le travail demandé est collectif. Comment à votre avis instaurer l'esprit de collaboration au sein d'une équipe?
Rédigé par : Raja | 02 septembre 2010 à 23:53