L'état d'esprit de Dionysos
21 mai 2006
Une des conséquences les plus évidentes pour l'opinion générale de la pression dans l'entreprise pour donner plus, être plus performant, améliorer l'efficacité, pousse à la recherche d'acquisition de compétences immédiatement utilisables pour être au niveau de ces attentes.
D'où une vision trés "court terme" de ces compétences, la recherche de celles qui sont dans le coup pour répondre au marché. Que d'erreurs sont ainsi commises.
Le Figaro de vendredi 19 mai , dans un article-opinion de Jean-claude Werrebrouck, professeur à l'université de Lille II, accrédite cette vision.
Il considère qu'il faut "adapter l'offre à la demande" et que les étudiants des universités "acceptent de renoncer à la liberté totale de s'inscrire dans la filière de leur choix". Il faut "former en vue d'un métier" et "passer d'un contrat non coopératif à un contrat coopératif" (il est inspiré par la théorie des jeux)entre l'université et l'entreprise, un "contrat commercial entre l'université et l'entreprise".Etc...On a l'impression qu'il croit à un système où l'Universté fabrique des diplômés "prêts à l'emploi".
Propositions pleines de bon sens mais tellement réductrices par rapport à la vraie dynamique de création de valeur de nos entreprises. Car ces compétences contractuellement identifiées, parfaitement codifiées, que valent elles ? Combien de temps seront elles utiles dans l'entreprise ? Le risque est fort qu'elles perdent vite de leur valeur, et que les jeunes gens qui auront crû à une telle histoire, sans voir au-delà, se verront vite atteindre 30, puis 40 ans et plus en se demandant ce qu'ils ont fait de leur vie professionnelle, pour se faire sortir du système par de nouveaux jeunes gens, en tout cas plus jeunes qu'eux.La vraie valeur est ailleurs.
Ce sont précisément ceux qui sortiront des codes évidents qui survivront (c'est le sens du livre "beyond code" que j'ai déjà évoqué).
La bonne gestion avec la liste des compétences "court terme" ne suffit pas pour faire réussir l'entreprise, ni pour assurer le projet professionnel et de vie des collaborateurs.
Michel Maffesoli nous aide à réfléchir à l'envers de ce décor trop parfait. Dans son livre "Du nomadisme", il évoque une figure bien connue :
"Lorsque la ville de Thèbes, bien, trop bien, gérée, par le sage Prométhée, se meurt de langueur, les femmes de la cité s'en vont quérir le turbulent Dionysos. Métèque, sexuellement ambigu, plus proche de la nature que de la culture, celui-ci redynamise la ville, et par là même redonne sens à un être-ensemble bien étiolé. Le barbare injecte un sang nouveau dans un corps social languide et par trop amolli par le bien-être et la sécurité programmés d'en haut. (...)
C'est cela le paradoxe contemporain : face à ce que l'on appelle la globalisation du monde, face à une société se voulant positive, lisse, sans aspérités, face à un développement technologique et à une idéologie économique régnant encore en maître, bref face à une société s'affirmant parfaite et "pleine", s'exprime la nécessité du "creux", de la perte, de la dépense, de tout ce qui ne se comptabilise pas, et échappe au fantasme du chiffre. De l'immatériel en quelque sorte. C'est en étant attentif "au prix des choses sans prix" (J. Duvignaud) que l'on saura donner du sens à tous ces phénomènes qui ne veulent pas avoir un sens."
Cet état d'esprit de Dyonisos , parfaitement revisité par Michel Maffesoli, nous interpelle pour éviter toutes ces visions simplistes de l'entreprise et de la performance, trop concentrées sur des codes pré-établis qui veulent faire rentrer tout le monde dans le rang. L'auteur nous donne le courage et les arguments pour résister à la "violence des bons sentiments, donnant une protection en échange de la soumission".
J'ai aussi relevé cette citation de S. Zweig (in "Le chandelier enterré") :
"Peut-être notre véritable destin est-il d'être éternellement en chemin, sans cesse regrettant et désirant avec nostalgie, toujours assoiffés de repos et toujours errants.
N'est sacrée en effet que la route dont on ne connaît pas le but et qu'on s'obstine néammoins à suivre, telle notre marche en ce moment à travers l'obscurité et les dangers sans savoir ce qui nous attend."
Oui.
En prolongement de ta réflexion, je te propose de revenir également au "besoin d'inutile et d'inactuel" bien expliqué par Jacqueline de Romilly dans "L'enseignement en détresse" en ... 1984 !
Même si sous sa plume il s'agissait d'une défense de l'enseignement humaniste classique, notamment le Grec et ses auteurs, j'ai souvent trouvé que cet humanisme (ou son absence) fait la différence entre les entreprises dans leur capacité à se développer dans la durée
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A bientôt
Philippe
Rédigé par : Philippe Angoustures | 24 mai 2006 à 11:14