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Programmes de transformation : choisissez votre vague

Boardstock017_1  C'est Ken Blanchard, l'auteur du "one-minute manager" qui a popularisé ces deux courbes du changement (dans "Mission possible").

De quoi s'agit-il ?

L'entreprise est prise en permanence entre deux vagues sur lesquelles les managers doivent apprendre à surfer :

La première est celle qui consiste à toujours améliorer ce que l'on fait déjà, afin de maintenir l'entreprise dans la course. c'est la courbe des actions d'amélioration constante de la performance.  Néammoins cette courbe connaît toujours un pic, qui est suivi d'une baisse de performance, et d'une chute.

La deuxième, c'est la nouvelle courbe, qui consiste à repenser le futur, à imaginer ce que sera l'entreprise demain, à innover. Cette courbe commence par des expériences, des recherches, des scénarios, et elle va déboucher sur la nouvelle vague qui remplacera dans la performance la première courbe en déclin.

Ken Blanchard considère que certaines personnes sont plus enclines à manager la première courbe, d'autres la deuxième. Ce ne sont pas les mêmes.

Les premiers travaillent sur des programmes à dix-huit mois environ, les autres sur l'horizon à cinq ans.

Il est donc important, lorsque l'on bâtit un programme de changement, de bien siasir sur quelle courbe l'on travaille, sachant qu'il faut conduire simultanément les deux types d'initiatives.

Voici donc le petit questionnaire pour savoir dans quelle équipe chacun se sent le plus performant :

1. Que préférez vous : améliorer ce qui existe, ou imaginer ce qui n'existe pas ?

2. Vous voyez vous plutôt comme ingénieur de maintenance ou un architecte ?

3. Préférez vous obtenir des résultats tout de suite ou définir comment ils seront obtenus dans le futur ?

4. Préférez vous mettre en place une orientation ou la définir ?

5. Êtes vous plus motivés par faire bien les choses ou faire des choses bien ?

6. Préféreriez vous réparer un carburateur ou construire un vaisseau spatial ?

Comme d'habitude, ce genre de théorie manque un peu de nuances pour décrire la vraie vie des entreprises.

Elle met toutefois l'accent sur cette notion de double approche nécessaire en permanence.

Dans la première courbe vont se mettre en oeuvre les projets de progrés continu : satisfaire et combler les clients, développer la motivation des collaborateurs, assurer la meilleure performance financière.

Dans la deuxième courbe, on va s'intéresser à la vision, aux scénarios pour le futur, au développement de nouvelles compétences, le déploiement du leadership, de l'innovation.

Se focaliser trop exclusivement sur l'une ou l'autre serait dangereux. Vouloir confier aux mêmes personnes les deux approches est aussi un risque de tout planter.

En ce moment, de nombreuses équipes se mettent en place pour mettre en musique les fusions prévues chez Alcatel/Lucent, Suez/Gaz de France, Bouygues/Alstom, Mittal/Arcelor,...Mais il faudra aussi assurer la performance à court terme avant que la nouvelle organisation et la nouvelle stratégie ne donnent les résultats espérés.

Bonne occasion d'être attentif au casting de ceux qui vont monter à bord pour faire partie de ces équipages, en interne ou comme partenaires externes.

Les deux programmes sont nécessaires, mais la méthode, les outils, les modes de travail des équipes, le style, sont trés différents.

Dans la première courbe, il s'agit de changer les comportements. Dans la deuxième, nous allons essayer de faire changer les façons de penser.

Dans la deuxième courbe, les questions vont plus loin que la remise en cause; elles abordent des sujets comme : "si nous n"existions pas, est ce que nous nous ré-inventerions, et si oui, à quoi voudrions nous ressembler ?".

Savoir gérer en même temps les évolutions et les révolutions...tout un programme.


Guy Dollé est-il un illusionniste ?

Magicien J'ai déjà consacré plusieurs notes aux relations entre actionnaires et management (ICI, ICI, ICI, ICI).

Un nouveau témoignage dans Les Echos d'aujourd'hui d'un actionnaire minoritaire de Mittal Steel, Wilbur Ross,  apporte un complément intéressant.

Wilbur Ross, qui a créé son propre fond d'investissement en 2000, et qui gère des participations pour 4,5 milliards de dollars, se livre à une comparaison entre le management de Lakshmi Mittal et celui de Guy Dollé (Arcelor), et en conclut :

"Guy Dollé est un illusionniste, Lakshmi Mittal un manager"

Quels sont les arguments ?

Ils portent principalement sur les notions de transparence,de cash, et de qualité/ notoriété du management.

Sur la transparence, Guy Dollé est accusé de refuser de dialoguer et d'utiliser des "artifices" pour tenter de se protéger. Le fait qu'il ait annoncé qu'il avait "des tours dans son sac" pour se protéger lui vaut ce qualificatif d'illusionniste.

Sur le cash, Mittal reçoit les félicitations , "Ce groupe est une véritable machine à cash".

Sur la qualité du management, Wilbur Ross aime bien que Mittal "écoute les administrateurs indépendants". Il note aussi que le Wall Street Journal a fait de Lakshmi Mittal un des dix meilleurs dirigeants en Europe et un des trente meilleurs au monde. Guy Dollé n'est pas dans la liste.

Conclusion : Mittal est dirigé par des managers professionnels.

Encore une preuve que ce comportement agressif et impliqué des investisseurs actionnaires est de plus en plus dangereux pour les dirigeants qui ne savent pas communiquer et se comporter comme attendu.

Le cash reste la meilleure défense. Et la qualité de la gouvernance où les administrateurs sont impliqués, et celle du management, reconnu comme compétent par des référents externes, sont indispensables.

Dur, dur pour le management des managers  technocrates, dont j'ai déjà parlé.

En plus, quand les technocrates sont perçus comme des illusionnistes, ils risquent de disparaître avec leurs lapins....


L'art de la motivation

Smilingworker J'ai déjà évoqué ICI les difficultés à motiver les collaborateurs de l'entreprise avec des formules  telles que "placer l'économie au coeur de l'entreprise". La motivation est un art complexe.

C'est pourquoi il est intéressant de lire attentivement l'article de Business Week cette semaine (May 1.2006) sur une entreprise qui a réussi dans "the art of motivation", NUCOR.

Aves 11300 salariés, un chiffres d'affaires en 2005 de 12,7 Milliards de dollars, un résultat net de 1,3 milliards de dollars, NUCOR est devenue la première entreprise sidérurgique aux Etas-Unis, avec 20,7 millions de tonnes expédiées. Cette performance est fulgurante quand on sait que cette entreprise n'a que quelques décennies d'âge, rien à voir avec les éléphants comme US Steel, ou Arcelor (dont l'article de Business Week ne dit pas un mot, mais cite par contre des commentaires de dirigeants de ...Mittal : encore une leçon d'humilité pour la France !).

Cette entreprise s'est distinguée notamment par ses pratiques en matière de rémunération, la vaste majorité des travailleurs étant payés en fonction de leur performance (exactement 66% contre 20% chez US Steel). Mais cette attention pour motiver va au delà, et vise à considérer les collaborateurs comme des propriétaires, et donc à instaurer une vraie culture de la performance.

Concrètement ça veut dire quoi ?

"At Nucor the art of motivation is about an unblinking focus on the people on the frontline of the business. It's about talking to them, taking a risk on their ideas, and accepting the occasional failure. It's a culture built in part with symbolic gestures."

Cette vision trés messiannique du management semble imprégner les dirigeants qui apportent leur commentaires inspirés sur ce qui fait la réussite de cette culture : "I consider myself as an apostle.After Christ died, people still spread the world. Our culture is a living thing. It will not die because we will not let it die, ever.".

Aprés ces envolées, l'article détaille ce système de rémunérations variables, où des bonus sont payés chaque semaine, sur chaque commande : le bon travail est rémunéré, et le mauvais travail apporte des pénalités. La pénalité est d'autant plus forte que le défaut est visible par le client (retard de livraison, non conformité,..). Ce principe concerne aussi les managers : ils ont un salaire de base qui est de 75 à 90% celui du marché, mais, dans une bonne année, ils peuvent recevoir un bonus de 75 à 90%, calculé d'aprés le retour sur investissement de l'usine.

Autre caractéristique, la valorisation du travail d'équipe; les bonus des directeurs d'usine et des responsables de Département  dépendent de la performance collective de l'ensemble de l'entreprise. Il n'y a pas de gloire à réussir dans votre usine si les autres ont failli.

Le système de rémunération n'est pas le seul élément; Nucor a aussi mis en place une culture du benchmarking et d'échanges des meilleures pratiques entre ses usines et Départements. La compétition interne pour faire toujours mieux est aussi un facteur de stimulation de la créativité et de l'innovation.

Toutes ces idées sont simples à comprendre. Mais plus difficiles probablement à mettre en oeuvre vraiment, et à maintenir dans la durée.

Les meilleures pratiques sont résumées en cinq points :

1. "Pay for performance",

2. "Listen to the front line",

3. "Push-down autority": déléguer le maximum et réduire les niveaux d'encadrement;

4. "Protect your culture" : la compatibilité culturelle est un point particulièrment observé lors des acquisitions;

5. "Try unproven technologies" : toujours prendre les risques pour s'engager avec de nouvelles technologies, afin de dépasser les performances continuellement.

CQFD.....


Révolution de cadets pour un nouveau Pacte du Sens dans l'entreprise

Jeudepaumedaviddetail_1 Commencé en octobre 2005 à partir d'une réflexion sur les critères de succés d'un nouveau Pacte pour l'entreprise, une "Zone Franche",ce blog en est aujourd'hui à plus de cinquante notes.

Partant du constat d'une tension dans le monde de l'entreprise entre la vision des marchés financiers et la conception de l'entreprise comme un collectif humain, l'intention était de réfléchir aux bases nouvelles du management et de la performance durables pour l'entreprise d'aujourd'hui, privée ou publique.

Le moment est propice, car on sent bien de la part des nouvelles générations de cadres combien ils aspirent à une autre façon de vivre et de progresser dans les entreprises.

Cela rappelle la période pré-révolutionnaire, au moment de la réunion des Etats Généraux par Louis XVI. C'est à ce moment que le Tiers-Etat se vit rejoindre par une partie du clergé et de la noblesse. Cette noblesse dissidente était fortement composée de puînés. En effet, les fils cadets ne portaient pas le titre et étaient exclus des fonctions politiques auxquelles pouvaient prétendre leurs aînés. Ces cadets, sentant qu'ils ne pourraient profiter du succés politique de leur caste, se sont ainsi alliés à ceux qui prônaient un ordre nouveau, et ont fait basculer vers la Révolution. Le rôle actif du Duc d'Orléans, du vicomte de Noailles (instigateur de la nuit du 4 août, et puîné), et des frères du Roi, futurs Charles X et Louis XVIII, est connu.

Aujourd'hui, de même, certains jeunes cadres, comme les cadets d'hier, aspirent un management différent, à l'exercice d'un pouvoir qu'ils sentent confisqué par leurs aînés auxquels ils ne croient plus.

Il n'est probablement plus possible, aujourd'hui, de réduire la description de l'entreprise à son organigramme et à son organisation. Déjà, en 1995, deux auteurs, francis Gouillard et James Kelly, dans leur ouvrage "Du mécanique au vivant", proposaient une approche de la transformation d'entreprise à partir d'une vision de l'entreprise comme un organisme vivant. Ils identifient ainsi douze systèmes organiques , dont l'énergie mentale (capacité à se mobiliser), le système cardiovasculaire(la construction du modèle économique), le système musculaire (la reconfiguration des processus), et j'en passe.

Cette approche conduit les auteurs à proner cette reconfiguration des processus tous azimuts. Elle me semble aujourd'hui dépassée, et un peu compliquée. Elle correspond bien à cette vague de "Re-engeneering" qui a déferlé dans les années 90, et dont même Michael Hammer, un des pionniers de cette notion, a avoué dans un ouvrage ultérieur qu"elle n'avait pas tenu les promesses.

Aujourd'hui, ce qui apparaît clairement, c'est l'importance de la notion de réseaux pour décrire la complexité des systèmes d'entreprises.

L'entreprise n'est pas plus une organisation fermée qu'un "organisme vivant". Elle est intégrée à un ensemble de réseaux de "capital holders", qu'il faut savoir identifier et comprendre pour avoir la possibilité de transformer l'entreprise. C'est par l'accroissement de la valeur de ces réseaux qu'on pourra contribuer à l'émergence d'un nouveau modèle de valeur pour l'entreprise.

Cinq "capital holders" contribuent à la création de valeur :

- Les actionnaires : ils comptent et vont compter de plus en plus. Les actionnaires ne seront pas éternellement les rois Dagobert de l'entreprise, mais vont se montrer de plus en plus interventionnistes et activistes. (voir ICI). La bonne relation avecles actionnaires passe par la définition et la communication d'une Vision ambitieuse économique et sociale à 5 ans au moins.

- Les équipes de Direction :Ce sont les principaux "stakeholders" chèrs à thierry Breton (ICI); ces équipes constituent le capital de leadership en réseau qui doit se déployer dans toute l'entreprise. Il a besoin de cohérence et d'alignement, sur des périodes courtes (6 mois) et à moyen terme. Ce sujet concerne les réflexions sur les systèmes de rémunérations, l'actionnariat salarial, les tableaux de bord de progrés et les objectifs partagés de performance.

- Les clients internes : C'est le capital humain collectif, la communauté de travail dans son ensemble. On adresse ici les questions relatives à la formation, à l'acquisition et à la diffusion des nouveaux savoirs, savoir-faire, savoir-être.

- Les clients externes et les partenaires : C'est le capital de confiance de l'entreprise, qui constitue un actif immatériel majeur, si difficile à construire, si rapide à perdre. On parle ici de l'intimité client, et on la développe au travers du processus de création et d'innovation, ce concept dépassant une vision strictement Produit. C'est Jim Collins qui nous parle de "l'innovation sociale " ICI.

- L'entreprise de Soi-Même : C'est le capital humain individuel, auquel l'entreprise ne peut manquer de s'intéresser, car, si elle ne peut plus promettre l'emploi à vie, se doit de s'intéresser à l' "employabilité" de ses collaborateurs, et a une responsabilité grandissante dans la bonne gestion de ce paradoxe qui consiste à "réussir sa vie" (ambition individuelle) et "réussir l'ambition de l'entreprise" (Nous S.A). Ne pas ouvrir cette question c'est donner de l'ampleur aux comportements passifs-agressifs (ICI) et au cynisme (ICI).

C'est en apportant un regard nouveau, de la cohérence et du sens à ces cinq "capital holders" que l'entreprise peut valablement s'engager dans une dynamique intégrée et durable de progrés.

De nouveaux métiers apparaissent pour favoriser l'émergence et le déploiement du leadership et de l'entrepreneurship :

- les mailleurs de réseaux,

- les designers de la richesse individuelle et collective,

- les fédérateurs de talents,

- les sourciers de l'imaginaire.

Un nouveau Pacte ne sera possible que si tous ces métiers le signent ensemble, permettant de donner à l'ambition de l'entreprise et de ses collaborateurs:

- une signature d'investiseurs (actionnaires),

- une signature de leadership (équipes de direction),

- une signature de l'innovation (communauté de travail),

une signature de marque (les clients),

- une signature de ...talent (la personne).

A nous de mettre en place dans nos entreprises ce Pacte et ces nouveaux métiers.


100 dollars cherchent Plan Stratégique utile : à qui le tour ?

100hdsh1 C'est Tom Peters qui est célèbre pour avoir offert un billet de 100 dollars au manager qui pourrait lui démontrer qu'une stratégie a été mise en oeuvre avec succés grâce à un exercice de planification stratégique.

Gageons qu'il a encore ces 100 dollars dans la poche, et ce n'est pas en interrogeant les entreprises françaises aujourd'hui qu'il courrait le risque de les perdre.

De nombreuses entreprises ont encore aujourd'hui dans leur organisation une Direction de la Stratégie dont la raison d'être est souvent réduite à la conduite du Plan Stratégique, Plan Moyen Terme, ou encore "Orientations stratégiques", "Ambitions et plans d'actions", peu importe....

Le processus est toujours le même : une méthodologie structurée, des inputs divers des Directions de l'entreprise, des séances d'arbitrage pleine de mise en scène et de théâtre, des "priorisations" ( horrible mot), des plans d'actions ("to do list" disent les managers dans le coup).

Et puis, une fois toute cette paperasse, ces slides en couleurs, ces business plans en tous genres entre les mains, c'est le désarroi du Directeur Général, qui a l'impression d'avoir fait perdre du temps à tout le monde pour n'arriver à rien de génial, des banalités auxquelles personne ne croit. Ca se finit des fois par un grand Séminaire dans un endroit chic, où l'on mange bien, on boit un peu, et on se donne rendez-vous à l'année prochaine.

Alors, devons nous abandonner toute tentative de s'intéresser à la stratégie dans l'entreprise ?

Ce serait peut-être jeter le bébé avec l'eau du bain.

En fait, j'ai pour habitude de distinguer trois types d'attitudes :

- L'entreprise Victime : L'attitude qui consiste à voir dans la stratégie un moyen de lancer les actions qui permettent à l'entreprise de "rester dans le coup" : ayant observé les concurrents, les initiatives des autres, les tendances des marchés, cette entreprise va chercher à jouer les coups qu'elle ne regrettera pas, se réservant les initiatives plus audacieuses une fois que le futur sera mieux connu. Elle se spécialise donc dans le benchmarking, les programmes de réduction de coûts, le re-engeneering des processus, les ré-organisations, les programmes qualité. La visibilité sur le futur n'est jamais au rendez-vous, et les grandes initiatives ne sont jamais lancées. Cette entreprise sera perpétuellement la victime des autres, jamais leader, toujours en retard, en retard d'innovation, en retard de motivation de ses collaborateurs, aves une Direction Générale qu'on dira "prudente", au point d'en être sans imagination. C'est dans ces entreprises que les Directions de la Stratégie prospèrent, font consciencieusement leur travail, animent réunions sur réunions, mais ne permettent jamais de tracer avec audace le futur de l'entreprise...

- L'entreprise qui s'adapte : Il s'agit ici de l'entreprise qui se caractérise par une grande capacité d'adaptation. Elle observe les concurrents et les marchés, et est capable, une fois repérées les tendances qu'elle imagine gagnantes (parce que d'autres s'y sont mises), de se lancer à son tour. Cette grande flexibilité vient notamment d'une organisation trés souple, où les collaborateurs fonctionnent en mode projet, prennent des initiatives qui vont au-delà des frontières de leur  poste stricto-sensu. Parfois, le temps de réaction est trop long, ou l'initiative mal choisie, et l'entreprise échoue; parfois ça marche. Cette entreprise sera caractérisée d'opportuniste, la Direction Générale jugée comme "fin connaisseur du secteur, des marchés".... Dans ces entreprises, les Directions de la Stratégie ont un rôle de veille, de construction de scénarios, et apportent en permanence des analyses, des états des lieux, et des jeux d'hypothèses qui laissent désarmés les Dirigeants. Cette entreprise a du mal à faire des choix; elle hésite, recule parfois. Les baronnies diverses tentent d'influencer la Direction Générale.

- L'entreprise qui dessine son destin : Ici, nous avons l'entreprise qui se sent leader dans le devenir de l'industrie où elle opère; Son dirigeant se sent visionnaire, fait faire de gros coups à l'entreprise, emmène les collaborateurs dans une vision en rupture avec ce que pensent toutes les autres entreprises. C'est l'entreprise où le Comité de Direction prend ses risques, conduit ses collaborateurs à faire des choix conformes à ce qu'elle pense être son destin. Cette entreprise est celle où l'on prend des risques, si possibles calculés (je me souviens d'un dirigeant qui me présentait son entreprise comme "une nécessité de prendre des risques, mais si possible de gros risques pour de gros gains et non des petits risques pour de petits gains"). Dans ces entreprises, les Directions de la Stratégie ne servent à rien si elles se concentrent sur le processus de planification stratégique, car ce sont les dirigeants eux-mêmes qui modèlent et conduisent les choix, sans déléguer à personne cette vision noble de la stratégie. Par contre les Directeurs de Branches ou Métiers sont formés eux-mêmes à la réflexion stratégique, cette capacité à voir et comprendre de manière globale les terrains où ils agissent. Cette compétence est d'or quand elle se déploie dans toute l'entreprise. Ce rôle de formation et de challenge peut alors être confié à une entité dédiée, même si la meilleure formation se fait par les dirigeants eux-mêmes.

Bien sûr ces trois attitudes sont un peu réductrices, et l'entreprise est souvent un portefeuille d'actions, certaines étant des actions de "victime", d'autres des actions d' "adaptation", et d'autres des "choix de destin".

Cette typologie est néanmoins bien utile pour évaluer le vrai apport d'une Direction de la Stratégie, surtout lorsqu'elle accompagne et encourage une posture de "victime".

Mais, en fait, le vrai test sur la qualité du process stratégique, ce n'est pas la Direction de la Stratégie, mais le comportement des dirigeants face au risque. Comme prévu, celui qui ne prend pas le risque d'entreprise n'obtiendra jamais la première place.

Alors, peut être qu'une bonne façon de reprendre de l'ambition pour son entreprise consiste à supprimer la Direction de la Stratégie, un peu comme quand on enlève les petites roues du vélo d'un enfant; risque de chute, bien sûr, mais aussi quelle opportunité de commencer une carrière de champion cycliste....Mais cette solution extrême n'est peut être pas obligatoire. Tout est question d'attitude.

La semaine denière, un dirigeant m'a raconté comment et pourquoi ils avaient supprimé la Direction de la Stratégie. C'est lui qui m'a inspiré cette note.

NOTA  :

Vous pouvez  retrouver les sources bibliographiques de la typologie évoquée ici dans les références suivantes (entre autres) :

- "Strategy under uncertainty, by Hugh Courtney, Jane Kirkland, Patrick Viguerie. (HBR - Nov-dec 1997)

- "What's wrong with strategy ?" by Andrew Campbell and Marcus Alexander (HBR - Nov-Dec 1997),

- " Strategy as Revolution" by Gary Hamel; (HBR July-Aug 1996)

- "Best practice does not equal best strategy" by Philipp M. Nattermann (Mc Kinsey Quarterly; 2000).


Le regard de la Bayadère

Bayadere11_2 J'avais déjà rendu compte de mes impressions à "Joyaux" à l'Opéra Garnier .

J'ai retrouvé la même joie hier soir à l'Opéra Bastille, où j'assistais à la représentation de "La Bayadère", chorégraphie de Rudolf Noureev.

Cette chorégraphie a été créée en 1992 pour l'Opéra de Paris. L'oeuvre date de ...1877. Elle a une histoire qui ajoute à l"émotion.

C'est en 1959, il avait 21 ans, que Rudolf Noureev danse pour la première fois le rôle tire de Solor au Kirov. Il sera à Paris avec le Kirov à l'Opéra Garnier en 1961pour y danser le troisième acte, "l'acte des ombres" (celui où le prince retrouve en rêve sa vraie passion), et c'est à cette occasion qu'il demande l'asile politique à la France, depuis l'aéroport du Bourget. C'est ensuite, et notamment dans les années 80, qu'il fera des recherches pour retrouver la partition originale de Minkus, auteur de la musique. Et c'est la consécration en 1992 avec cette création à Garnier le 8 octobre 1992. Il décèdera en janvier 1993.

Oui, cette Bayadère, c'est l'oeuvre d'une vie, et le triomphe d'hier soir, la 174 ème représentation depuis 1992, c'est aussi un hommage à la passion et à Noureev.

Tout y est pour l'émerveillement : les décors dans cette Inde des palais et des Rajahs, la musique qui colle parfaitement à la danse, emmenée hier par Pavel Sarokin, chef d'orchestre de l'orchestre symphonique de Russie, et bien sûr la beauté et la grâce des danseurs. Comment ne pas être transporté.

L'argument est digne d'une tragédie, et tellement intemporel : un garçon prince, déchiré entre une femme fille de Rajah qu'il va épouser, et cette passion pour une bayadère, créature mythique évoquant les courtisanes, l'érotisme sulfureux, le rêve et le plaisir, celui qu'on ne connaît pas de la même façon avec une femme rangée. L'acte II est celui de la cérémonie du mariage avec la fille du Rajah, et l'occasion de numéros de danse magnifiques, mais aussi d'échanges de regards trés forts entre le prince et la princesse ( résignation, doute, raison) et entre le prince et la bayadère (attirance, passion, honte de soi, renoncement).

La danse de la bayadère, invitée à ce mariage, devant ce couple prince-princesse est le moment fort du ballet. La princesse a cette grâce, cette envie d'exclusif avec le prince. Et là, cette bayadère, vêtue de vêtements prés du corps, orange, un diadème sur les cheveux, les cheveux serrés, le ventre nu, presque un air androgine, qui échange de longs regards et une sensualité qui fait frissonner avec le prince immobile prés de la princesse; elle a tout compris, son attirance et sa peur de s'engager, et sa danse nous communique sa souffrance et sa joie. On a là sous les yeux tout le symbole du dilemne entre la passion et la raison...La Bayadère se voit offrir (à la demande de la princesse jalouse) une corbeille de fleurs contenant un serpent; elle est piquée à mort; le brahmane lui propose un contre-poison; elle le tient dans la main, tourne les yeux éplorés vers le prince Solor; celui-ci détourne les yeux; elle laisse choir cette fiole de contre-poison et se meurt sous nos yeux et ceux du prince. Rideau... et bravos interminables.

L'acte III, c'est celui où le prince Solor revoit en rêve les ombres et la bayadère; un ballet en tutus, la bayadère et le prince tout en blanc, une musique toute en lenteur et légèreté, l'occasion de scènes éblouissantes, et en fin, le pardon et les retrouvailles des vrais amants. Allez voir ici les deux vidéos qui vous donneront une idée de ce moment.

Noureev a su, dans cette chorégraphie pleine d'intelligence et de grâce, évoquer avec génie cette lutte des passions. Les danseurs de ce soir, Agnès Letestu en bayadère, José Martinez en prince Solor, et Stéphanie Romberg en princesse Gamzatti, ont su nous communiquer ces émotions, par leur danse et par les regards.

Je retiendrai cette capacité du regard à transformer notre façon de sentir et de vivre les moments de la vie; ce regard, c'est aussi celui de Rudolf Noureev, cette vision du monde et des passions, cette difficulté à choisir (et ces moments de choix forts, tel celui de son asile en France, sans lequel nous n'aurions  jamais connu cette merveilleuse bayadère), c'est aussi un message; et ce déchirement entre la bayadère, symbole de l'amour passion et de l'interdit, et la princesse, incarnation de l'ordre établi, c'est un message universel qui parle à chacun.

Pour terminer, quelque chose qui n'a rien à voir :Cette semaine, un de mes amis a perdu ses lunettes. Sur qui son regard va-t-il changer : la bayadère ou la princesse ?


Les jeunes générations vampirisées par les Dorian Gray soixante-huitard !

Thepictureofdoriangray  Nous connaissons ce roman d'Oscar Wilde, "Le portrait de Dorian Gray"  (et aussi la superbe reconstitution holywodienne d'Albert Lewin en 1945, avec le trés beau Hurd Hatfield) où ce portrait permet à son propriétaire de conserver éternellement sa jeunesse et de donner libre court à la jouissance, au cynisme et à la débauche sur ses proies...

Une nouvelle version est proposée par La Tribune de Vendredi 7 avril , à propos du passage de générations dans les entreprises entre les "papy-boomers" qui s'en vont et ceux qui restent.

La CEGOS, qui vient de publier pour la quatrième année une étude sur le "choc démographique" met en évidence que le départ des aînés n'ouvre aucune perspective de carrière aux autres. 64% des 36-40 ans et 57% des 25-30 ans expriment ce sentiment d'absence d'avenir. Les entreprises ont avoué à la CEGOS (ce sont les DRH qui ont vendu la mèche...) qu'ils allaient profiter des départs des papy-boomers pour réduire les effectifs sans risque social.

La Tribune appelle les experts à témoigner et se fait le porte-voix d'un jugement sans appel :Ces "papy-boomers", anciens soixante-huitards, ont construit leurs politiques revendicatives en défense de leur génération, et tant pis pour les suivantes, aprés eux le déluge ! Ils laissent derrière eux..."un champ de ruines".

Louis Chauvel, professeur à sciences po, met en exergue "la captation d'héritage" des soixantes-huitards au détriment de leurs enfants.

François Dubet, encore un professeur, à Bordeaux, s'en prend également à ces "générations anciennes qui ont choisi la protection de l'emploi plutôt que la gestion de la flexibilité. La défense des systèmes de retraite traditionnels et le creusement de la dette plutôt que la réduction des déficits" en se disant "les jeunes n'auront qu'à payer ".

Et Pascal Junghans (joli nom pour parler des jeunes), qui signe l'article de la Tribune termine par cette formule abracadabrantesque : "Comme Dorian Gray, les soixantes-huitards ont voulu conserver une éternelle adolescence. En vampirisant la véritable jeunesse. Ne risque-t-elle pas de réagir radicalement ?".

Et alors, on fait quoi maintenant ? Que va faire cette jeunesse "vampirisée" ? être vampire à son tour ?

J'ai trouvé une réponse dans Les Echos de mercredi 5 avril, qui rend compte d'une étude d'IBM à propos de l'innovation, figurant dans leur rapport "Global Innovation Outlook 2.0" : selon cette étude, l'environnement et les formes des entreprises va changer profondément au XXIème siècle. C'est Ginny Rometty, senior vice président d'IBM, qui en a résumé les conclusions :

"L'entreprise du XXIème siècle est une organisation dite distribuée. La hiérarchisation qui a structuré l'entreprise du XXème siècle est en train de disparaître au profit d'organisations éparses en mutation permanente, dont les participants se rassemblent temporairement, souvent virtuellement, le temps de collaborer à un projet. Un modèle qui rappelle celui des jeux vidéos en ligne "massive multiplayer" où les collaborations et loyautés entre des milliers de joueurs se font et se défont au gré des évènements et des besoins. Serions-nous inopinément en train d'enseigner à nos enfants les compétences dont ils auront besoin ? "

On est rassuré : aprés le numéro des Dorian Gray soixantes-huitards, voici les jeunes qui vont transformer l'entreprise en jeu vidéo "massive multiplayer".....

Il y a des jours comme ça où l'entreprise ressemble à un vidéoclub !


L'entreprise passive-agressive : comment la soigner ?

EnfantboudeurNous connaissons cette entreprise :

Lors du dernier Comité Produit, un nouveau plan de développement a été présenté par le Directeur du Développement. Le planning est ambitieux, le challenge élévé. Le Directeur Général fait un tour de table : pas de remarques; le lancement et le planning sont approuvés.

A la sortie de la réunion, le Directeur du Marketing vient parler à l'oreille de Directeur Général "Cette précipitation à lancer sans réfléchir suffisamment un produit aussi complexe m'inquiète; les collaborateurs n'y arriveront jamais..... je vais vous faire une note sur ce sujet". Dans le couloir, un jeune chef de produit tout excité, qui est prêt à se donner à fond à ce challenge échange quelques mots avec un directeur de la Recherche, vétéran de l'entreprise : "Ne t'excites pas trop, jeune homme, ici tous les produits sortent en retard; rien n'est prêt; inutile de s'exciter; je te parie que dans moins d'un mois, on va repousser le planning d'au moins six mois...".

Résultat : un mois après, les premières étapes pour lancer ce produit n'ont pas démarré.Le Directeur Général a convoqué un nouveau meeting pour commenter la note qu'il a reçue du Directeur du Marketing, trés pessimiste sur la capacité à faire.

Cette entreprise est celle où aucun conflit apparent ne se manifeste, où le consensus se construit facilement, mais qui est incapable d'appliquer et de mettre en oeuvre les décisions. Tout le monde est d'accord en apparence, mais rien ne change jamais.

Gary L. Neilson et Bruce A. Pasternack, auteurs de "Results", publié en octobre 2005, ont trouvé un terme emprunté à la psychologie des individus pour décrire ce type d'entreprise : l'organisation passive-agressive.

Il est intéressant de comparer cette analyse des organisations avec celles des personnalités, comme si l'entreprise elle-même, collectif humain, acquérait une personnalité propre, susceptible de troubles de même nature que ceux rencontrés par les thérapeutes chez leurs patients.

Pour l'analyse des personnalités passives-agressives, j'ai ressorti l'excellent ouvrage de François Lelord et Christophe André, "Comment gérer les personnalités difficiles".

Ces deux approches analysent-t-elles les mêmes symptomes, et comment se comparent les remèdes ?

Et qu'en déduire pour réconcilier l'entreprise et ses collaborateurs dans un nouveau Pacte ?

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