100 dollars cherchent Plan Stratégique utile : à qui le tour ?
17 avril 2006
C'est Tom Peters qui est célèbre pour avoir offert un billet de 100 dollars au manager qui pourrait lui démontrer qu'une stratégie a été mise en oeuvre avec succés grâce à un exercice de planification stratégique.
Gageons qu'il a encore ces 100 dollars dans la poche, et ce n'est pas en interrogeant les entreprises françaises aujourd'hui qu'il courrait le risque de les perdre.
De nombreuses entreprises ont encore aujourd'hui dans leur organisation une Direction de la Stratégie dont la raison d'être est souvent réduite à la conduite du Plan Stratégique, Plan Moyen Terme, ou encore "Orientations stratégiques", "Ambitions et plans d'actions", peu importe....
Le processus est toujours le même : une méthodologie structurée, des inputs divers des Directions de l'entreprise, des séances d'arbitrage pleine de mise en scène et de théâtre, des "priorisations" ( horrible mot), des plans d'actions ("to do list" disent les managers dans le coup).
Et puis, une fois toute cette paperasse, ces slides en couleurs, ces business plans en tous genres entre les mains, c'est le désarroi du Directeur Général, qui a l'impression d'avoir fait perdre du temps à tout le monde pour n'arriver à rien de génial, des banalités auxquelles personne ne croit. Ca se finit des fois par un grand Séminaire dans un endroit chic, où l'on mange bien, on boit un peu, et on se donne rendez-vous à l'année prochaine.
Alors, devons nous abandonner toute tentative de s'intéresser à la stratégie dans l'entreprise ?
Ce serait peut-être jeter le bébé avec l'eau du bain.
En fait, j'ai pour habitude de distinguer trois types d'attitudes :
- L'entreprise Victime : L'attitude qui consiste à voir dans la stratégie un moyen de lancer les actions qui permettent à l'entreprise de "rester dans le coup" : ayant observé les concurrents, les initiatives des autres, les tendances des marchés, cette entreprise va chercher à jouer les coups qu'elle ne regrettera pas, se réservant les initiatives plus audacieuses une fois que le futur sera mieux connu. Elle se spécialise donc dans le benchmarking, les programmes de réduction de coûts, le re-engeneering des processus, les ré-organisations, les programmes qualité. La visibilité sur le futur n'est jamais au rendez-vous, et les grandes initiatives ne sont jamais lancées. Cette entreprise sera perpétuellement la victime des autres, jamais leader, toujours en retard, en retard d'innovation, en retard de motivation de ses collaborateurs, aves une Direction Générale qu'on dira "prudente", au point d'en être sans imagination. C'est dans ces entreprises que les Directions de la Stratégie prospèrent, font consciencieusement leur travail, animent réunions sur réunions, mais ne permettent jamais de tracer avec audace le futur de l'entreprise...
- L'entreprise qui s'adapte : Il s'agit ici de l'entreprise qui se caractérise par une grande capacité d'adaptation. Elle observe les concurrents et les marchés, et est capable, une fois repérées les tendances qu'elle imagine gagnantes (parce que d'autres s'y sont mises), de se lancer à son tour. Cette grande flexibilité vient notamment d'une organisation trés souple, où les collaborateurs fonctionnent en mode projet, prennent des initiatives qui vont au-delà des frontières de leur poste stricto-sensu. Parfois, le temps de réaction est trop long, ou l'initiative mal choisie, et l'entreprise échoue; parfois ça marche. Cette entreprise sera caractérisée d'opportuniste, la Direction Générale jugée comme "fin connaisseur du secteur, des marchés".... Dans ces entreprises, les Directions de la Stratégie ont un rôle de veille, de construction de scénarios, et apportent en permanence des analyses, des états des lieux, et des jeux d'hypothèses qui laissent désarmés les Dirigeants. Cette entreprise a du mal à faire des choix; elle hésite, recule parfois. Les baronnies diverses tentent d'influencer la Direction Générale.
- L'entreprise qui dessine son destin : Ici, nous avons l'entreprise qui se sent leader dans le devenir de l'industrie où elle opère; Son dirigeant se sent visionnaire, fait faire de gros coups à l'entreprise, emmène les collaborateurs dans une vision en rupture avec ce que pensent toutes les autres entreprises. C'est l'entreprise où le Comité de Direction prend ses risques, conduit ses collaborateurs à faire des choix conformes à ce qu'elle pense être son destin. Cette entreprise est celle où l'on prend des risques, si possibles calculés (je me souviens d'un dirigeant qui me présentait son entreprise comme "une nécessité de prendre des risques, mais si possible de gros risques pour de gros gains et non des petits risques pour de petits gains"). Dans ces entreprises, les Directions de la Stratégie ne servent à rien si elles se concentrent sur le processus de planification stratégique, car ce sont les dirigeants eux-mêmes qui modèlent et conduisent les choix, sans déléguer à personne cette vision noble de la stratégie. Par contre les Directeurs de Branches ou Métiers sont formés eux-mêmes à la réflexion stratégique, cette capacité à voir et comprendre de manière globale les terrains où ils agissent. Cette compétence est d'or quand elle se déploie dans toute l'entreprise. Ce rôle de formation et de challenge peut alors être confié à une entité dédiée, même si la meilleure formation se fait par les dirigeants eux-mêmes.
Bien sûr ces trois attitudes sont un peu réductrices, et l'entreprise est souvent un portefeuille d'actions, certaines étant des actions de "victime", d'autres des actions d' "adaptation", et d'autres des "choix de destin".
Cette typologie est néanmoins bien utile pour évaluer le vrai apport d'une Direction de la Stratégie, surtout lorsqu'elle accompagne et encourage une posture de "victime".
Mais, en fait, le vrai test sur la qualité du process stratégique, ce n'est pas la Direction de la Stratégie, mais le comportement des dirigeants face au risque. Comme prévu, celui qui ne prend pas le risque d'entreprise n'obtiendra jamais la première place.
Alors, peut être qu'une bonne façon de reprendre de l'ambition pour son entreprise consiste à supprimer la Direction de la Stratégie, un peu comme quand on enlève les petites roues du vélo d'un enfant; risque de chute, bien sûr, mais aussi quelle opportunité de commencer une carrière de champion cycliste....Mais cette solution extrême n'est peut être pas obligatoire. Tout est question d'attitude.
La semaine denière, un dirigeant m'a raconté comment et pourquoi ils avaient supprimé la Direction de la Stratégie. C'est lui qui m'a inspiré cette note.
NOTA :
Vous pouvez retrouver les sources bibliographiques de la typologie évoquée ici dans les références suivantes (entre autres) :
- "Strategy under uncertainty, by Hugh Courtney, Jane Kirkland, Patrick Viguerie. (HBR - Nov-dec 1997)
- "What's wrong with strategy ?" by Andrew Campbell and Marcus Alexander (HBR - Nov-Dec 1997),
- " Strategy as Revolution" by Gary Hamel; (HBR July-Aug 1996)
- "Best practice does not equal best strategy" by Philipp M. Nattermann (Mc Kinsey Quarterly; 2000).
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