Des leaders qui brûlent ou des leaders "résonnants" ?
L'actionnaire bon roi Dagobert ?

Les comités de Direction sont ils tous cyniques ?

Cynisme_1  Davis Maister, dont j'ai déjà parlé (ICI),  a consacré une note récente dans son blog à un phénomène que nous avons tous probablement constaté : les dirigeants ne croient pas aux projets qu'ils lancent.

J'ai souvent utilisé un outil simple que j'avais retenu de David, lors de présentations à des Comités de Direction d'un plan d'actions ambitieux de changements, et dont les résultats sur de nombreux cas ont conduit à cette étonnante conclusion.

Cet outil est simple. Imaginons que nous venons de conduire une analyse diagnostique d'une situation donnée, à la demande des dirigeants de l'entreprise, ou au moins du Directeur Général ou du Président. Les conclusions sont maintenant sur la table; elles répondent parfaitement à la demande du Comité de Direction, elles recommandent un plan d'actions clair et structuré; il n'y a plus qu'à le lancer et l'éxécuter.Le comité de direction est enthousiaste de ce qu'il contient, ou du moins l'approuve formellement.

A l'issue de la présentation, un vote est organisé, généralement à vote secret. Chaque membre du Comité de Direction a une voix. Il doit choisir, par exemple, entre trois propositions, qui peuvent être formulées de façon variable selon les contextes :

  1. Ce programme ne vas pas réussir (car nous ne sommes pas sûr d'en avoir tous les moyens).
  2. Ce programme va réussir partiellement .
  3. Ce programme va réussir totalement (car nous avons la volonté et l'ambition).

Il n'est pas obligatoire de mentionner "car..." mais je le pratique souvent de cette manière.

David Maister a constaté que dans la majorité des cas les membres du comité de Direction avouent dans le secret du vote qu'ils ne pensent PAS que le programme, la nouvelle stratégie, sera mise en oeuvre; Ils pensent qu'ils ne seront pas capables de mener tous ces changements sur la durée, ou bien ils pensent que leurs collaborateurs ne seront pas capables (en fait cela dit la même chose mais de manière plus subtile). En fait ils sont convaincus que "faire comme avant" est tellement confortable qu'ils ne voient pas pourquoi on ferait tous ces efforts; Ils ne croient pas que le nouveau programme va emmener l'entreprise sur "le chemin de Damas", mais au contraire que les bonnes vieilles habitudes vont revenir à un moment ou à un autre, ruinant les tentatives de "faire autrement" du moins dans la durée. Et pourtant ils vont lancer le projet ou le programme, avec un champion chef de projet en avant....bon courage à lui...

David en conclut à un certain cynisme de ces membres leaders des Comités de Direction, en se félicitant implicitement d'avoir vendu trés cher des recommandations de qualité à des dirigeants enthousiastes.....qui ne les ont jamais mises en oeuvre. Lui même est devenu, il l'avoue, cynique....

Mon expérience de cet exercice extrèmement révélateur est plus nuancée, et on obtient quand même parfois des scores élevés pour la proposition numéro 3 (mais je n'ai jamais rencontré un vote à plus de 70% qui marquerait un vrai consensus), mais il est vrai que nous trouverons toujours étonnant que le Comité de Direction, l'organe de management qui va devoir emmener toute l'entreprise derrière lui pour conduire le changement, est déjà partagé, et qu'il y en a même qui croient, avant même d'avoir commencé, que ça va planter....Que peuvent faire les collaborateurs et employés de l'entreprise qui va lancer un tel programme de changement, si déjà les membres les plus puissants de l'entreprise n'y croient pas ?

Il est intéressant de commenter en direct les résultats lors de la réunion, juste aprés le vote : Si le Comité se satisfait globalement d'atteindre un petit 50% pour la proposition 3, vous êtes sûrs d'avoir sous les yeux le début d'un projet qui va rater. En fait, ils pensent que, suite à la présentation de "ce qu'il faut faire", ce sont d'autres collaborateurs qui "vont faire", et que ça ne marchera pas forcément, mais ce n'est pas bien grave....On refera un autre diagnostic plus tard, et, exercice amusant, on cherchera les coupables....

Alors deux questions se posent :

La première : peut on redresser la situation à l'issue d'un tel vote pour que le programme se mette en place ?

Bien sûr, si le plus chaud partisan est le Président, et que ce sont les membres du comité de Direction qui ont tiré le score vers le bas, il peut lui venir l'idée que ce comité de Direction doit être changé : j'ai connu ce cas dans un programme de redressement ambitieux ; dans les six mois du vote, l'essentiel du comité de direction avait changé, et le programme a été un franc succés. Cette démarche est risquée car, si le changement de comité de direction n'est pas le bon, le deuxième remaniement sera probablement ...le remplacement du Président lui-même.

L'autre réponse est d'introduire une gestion trés rapprochée de la communication et du dialogue avec CHACUN des membres du comité de Direction tout au long du programme.

Une deuxième question peut aussi être posée : quelle est la meilleure façon de conduire l'étape de construction du Projet ou du Programme pour que cette épreuve du feu du vote de la foi dans la réussite soit la plus haute possible. On agit ainsi le plus en amont possible, ce qui est bien préférable.

Je proposerai 5 principes que j'ai toujours observés comme favorables :

  1. Le principe des 50/50 : Lors du diagnostic, de la construction du programme, trois étapes sont à distinguer : comprendre la situation, formaliser les propositions d'actions, convaincre et engager les leaders dans le sponsoring des actions : cett dernière étape représente au moins 50% de la démarche et des efforts. Une fois que l'on a identifiées les actions, il reste donc autant de temps et d'énergie pour engager les leaders (c'est à dire CHACUN des leaders et membres du comité de Direction) ; souvent on zappe cette étape, ou on la bâcle en quelques jours, on veut tout lancer tout de suite, et .....le vote est trés mauvais...
  2. Les anecdotes : Au cours de l'analyse de la situation, écouter les petites histoires, les anecdotes, les témoignages d'un maximum de personnes. Elles parlent toutes des peurs, des envies, des jeux politiques, des jalousies, des clans, des ambitions personnelles, de l'émotion qui circule dans l'entreprise, elles parlent de ce qui sera décisif : des hommes et des femmes de l'entreprise qui vivront le programme que vous êtes en train d'imaginer. Ces petites histoires, il faut savoir les mettre en scène, entendre les non-dits qu'elles révèlent; Elles rendent trés humaines les recommandations qui seront proposées. Elles ne remplacent pas les chiffres et les preuves quantifiées des dysfonctionnements, mais elles apportent une sève supplémentaire. Ceux qui se révèlent des champions des anecdotes seront sûrement trés populaires pour entraîner l'entreprise et ses dirigeants.
  3. Chercher les points forts et les valoriser : Des leaders forts, une culture forte, des capacités à changer vite démontrées par des évènements du passé (avec plein d'anecdotes pour le démontrer), peu importe; le diagnostic bienveillant est celui qui ne cherche pas systématiquement à traquer tout ce qui ne va pas et à le monter en scénario catastrophe, c'est aussi celui qui a su trouver les "pépites" de l'entreprise qui seront les alliés bienvenus pour le changement. Si l'on oublie cet aspect, les risques de rejet, ou de consentement mou sont maximums (eh oui, même quand on est dirigeant, on n'aime pas entendre dire trop de mal de son entreprise...);
  4. Organiser le débat et le conflit des opinions dans le comité de direction, pour faire naître sainement une opinion commune : les comités de direction ne sont pas constitués de clones; chacun a sa position, sa vision, et le débat ouvert entre ces opinion diverses est la garantie de pouvoir aboutir à une position qui sera celle "du comité dans son ensemble", où chacun n'exprimera plus "une position personnelle", mais une position qui sera celle qu'il pense "la meilleure pour l'ensemble de l'entreprise". C'est ce basculement, parfaite incarnation du bon fonctionnement d'un comité de direction qui apportera le succés. Le rôle du débat est essentiel, toutes les démocraties l'ont compris.Cette vision va peut être paraître angélique, mais elle est trés exigeante en fait, et signe d'une réelle responsabilité des dirigeants. Certains en font une valeur et une éthique pour conduire les opérations ; ceux qui ne s'en préoccupent pas et acceptent passivement un comité de direction de "béni-oui-oui" qui approuvent sans rien dire les propositions du Président, et n'en pensent pas moins, ou bien qui laissent se développer les conflits personnels et inimitiés, ne pourront probablement jamais lancer un programme de changement un peu ambitieux. Et les votes à l'exercice proposé seront catrastrophiques. Rappelons nous cette citation de Marc Aurèle : "il est d'un roi de faire le bien et d'entendre dire du mal de lui; il est d'un tyran de faire le mal et d'entendre dire du bien de lui".
  5. Construire le programme en intégrant les trois dimensions Rationnelle / Politique / Emotionnelle : le rationnel, c'est "ce que l'on va faire", il fait appel au raisonnement, à la démonstration; cette dimension n'est jamais oubliée. Le "politique" fait appel à des questions comme "qui va faire ? dans l'intérêt de qui ? qui va perdre ou gagner ? quel pouvoir est menacé ?.... toutes ces questions sont à anticiper car ce sont elles qui pèseront lors du vote dans l'exercice. L' "émotionnel", ce sont les peurs, les envies (oui, merci les anecdotes), qui sont aussi décisives. Ouvrir ces questions avant de foncer dans l'action, c'est la garantie d'avoir pris le recul nécessaire et de ne pas provoquer la pluie et la foudre en voulant faire venir le soleil maladroitement...

Ces principes vont probablement sembler un peu théoriques et nécessiteraient d'être illustrés par des exemples concrets , mais ne dit on pas que "rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie" ?, surtout quand on cherche quelques repères pour réussir dans des situations toujours différentes. C'est stephen Covey (l'auteur des "7 habitudes de ceux qui réussissent tout ce qu'ils entreprennent") qui parlait de "manager par les principes", à l'inverse de ceux qui se disent toujours "pragmatiques", ce qui  caractérise souvent ceux qui ne savent pas où ils vont, qui improvisent en permanence, réagissent sans anticiper, et font prendre des risques démesurés à leurs entreprises et à leurs collaborateurs.

Oui, cet exercice du vote des chances d'un projet par le comité de direction est vraiment trés éclairant : sur le comité de direction bien sûr, mais aussi sur la qualité du travail préalable conduit avant la présentation du projet à celui-ci. On oserait aller jusqu'à dire que le résultat du vote est la note pour celui qui présente le projet (c'est pourquoi il constitue une épreuve aussi pour celui-ci);

Mais aussi que les comités de direction ont souvent les conseilleurs et organisateurs de projets qu'ils méritent,...et inversement.

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