Nous découvrons nos ressemblances en étudiant nos différences
Un drôle de Directeur Général

Où est le lieu central de la vie ?

Foetus La lecture de "Pourquoi ça ne va pas plus mal ?" de Patrick viveret me permet de revenir au thème qui a lancé ce blog (voir ICI).

Il y analyse les dangers qui nous menacent, et décèle, parmi les causes du fatalisme ambiant, des problèmes d'être plus que d'avoir : pour lui, ce qui est déréglé, c'est notre façon de concevoir notre place dans l'univers, de donner un sens à notre vie, de s'en sentir responsable et de se montrer solidaire de la vie des autres.

Son diagnostique aborde aussi le monde de l'entreprise, même si ce n'est pas le point de vue majeur du livre :

"Une des préoccupations majeures des entreprises est de faire croire que l'entreprise est le lieu central de la vie. D'où les contradictions sur lesquelles sont en train de buter les discours de type management participatif. (...).

C'est ainsi que s'exprime en filigrane dans les discours sophistiqués sur les nouvelles formes de management ou le pilotage du troisième type la conscience profonde, rarement formulée, y compris par leurs auteurs eux-mêmes, que le problème majeur des économies capitalistes et des entreprises marchandes, c'est, derrière l'objectif proprement économique structuré autour de la richesse, le management de cette partie immense de l'iceberg qui se trouve immergée : gérer du pouvoir, du sens, de la connaissance, de l'amour, de la jouissance, de l'amitié.

Or, la mutation informationnelle et la révolution de l'intelligence qu'elle induit produisent une situation trés différente, dans laquelle l'entreprise ne peut capter l'intelligence de ses salariés que si elle capte leur motivation; bref, elle tente de pratiquer une forme d'internalisation des passions pour une partie des cadres et salariés.

Mais le salarié qui s'intéresse de nouveau à l'entreprise, que reçoit il en échange ? On retrouve ici le problème du pouvoir, du sens de l'entreprise, voire celui du partage de la richesse. Et si l'entreprise ne se place pas dans cette optique, si elle traite ses salariés comme des charges dont elle pourrait chercher à se débarrasser pour "raisons de compétitivité", il ne faut pas qu'elle s'étonne que ceux-ci choisissent de mener leur projet de vie à l'extérieur, la traitant, elle, comme une pure ressource alimentaire."

Patrick Viveret met le doigt sur une situation similaire dans le domaine social et politique.

Pour lui, il est urgent de réapprendre à vivre, et de considérer qu'"être un humain", "vivre" , c'est un vrai travail, que nous ne prenons pas assez au sérieux.

Plongés dans un modèle culturel, en Amérique du Nord, en Asie, en Europe, qui consiste à réagir à la difficulté par un surcroît de vitesse, d'effort, de logique guerrière, nous en oublions de vivre le temps présent, de simplement jouir de la vie telle qu'elle nous arrive. Il cite Keynes, qui, dans son "essai sur la monnaie", a cette remarque troublante : "Nous n'avons pas appris à jouir".

Notre monde professionnel, celui qui nous fait vivre une vie professionnelle qui absorbe notre vie personnelle, est le réceptacle parfait de ce que patrick Viveret appelle la "misanthropie du quotidien", qui est comme un poison versé goutte à goutte : "elle nous rend amers, aigris, sans énergie". Cette plainte sourde d'un combat entre la vie professionnelle et la vie personnelle, elle envahit aujourd'hui les réflexions et expressions des cadres, notamment les jeunes générations. J'y suis souvent confronté dans les entreprises que je côtoie.

Ecoutons patrick Viveret :

"Être dans ce malheur quotidien, c'est être en permanence "à la mauvaise heure" : nous ne sommes pas bien dans le présent car nous sommes happés par le passé ou l'avenir. Regrets, remords, nostalgie quant au passé; désir, espoir ou peur quant à l'avenir. L'instant présent est vidé par ces sentiments qui nous empêchent de le vivre pleinement. Je suis dans une ville : je rêve d'être dans une autre; je fais ceci; je pense au fait que je n'ai pas encore fait cela; je rencontre telle personne : je m'imagine déjà avec celle que je rencontrerai dans une heure, etc...Dans le désert nous rêvons de neige; à la montagne nous regrettons la mer; à la campagne les deux à la fois. Bref, quelle que soit la météo extérieure, le temps intérieur est toujours gris...

Être à la "bonne heure", c'est donc d'abord vivre intensément le présent. S'il est satisfaisant, faire de cette satisfaction souvent banale et quasi insensible une vraie joie. S'il est difficile, faire de cette difficulté une leçon de vie, la considérer comme une opportunité. S'il est douloureux, réduire au maximum la douleur en suivant par exemple les préceptes de la médecine chinoise, c'est à dire en se concentrant sur cette douleur afin de ne pas la laisser irradier notre corps, notre coeur, notre esprit.

Au sens fort du terme, le bonheur et le malheur ne sont pas des sentiments mais des choix, des positions de vie."

En fait, le projet de patrick Viveret, c'est de nous "apprendre à vivre", car c'est grâce à la qualité du projet de vie de chacun que nous résoudrons collectivement les problèmes de nos entreprises, nos Etats, notre planète. Il réagit à nos façons de nous plaindre, de souffrir de travailler trop, de ne pas assez faire ceci , ou trop de celà, en nous faisant prendre conscience que "nous sommes reponsables de notre propre malheur" (pour reprendre l'expression de Watzlavik).

Il faut dire que cette position de plainte a quelque chose d'agréable :

"Quand nous pensons être malheureux pour telle ou telle cause éloignée de notre présent (un échec amoureux, un drame touchant un proche, un licenciement,..)nous avons en réalité choisi de nous défendre d'une situation éprouvante par une position de vie malheureuse. Car cette position entraîne - du moins le croyons nous inconsciemment - bien des avantages : celui d'apparaître comme une victime, celui d'être considéré comme irresponsable, le droit d'être plaint et, vieux fond magique en nous, la croyance que le malheur nous préserve d'autres malheurs plus grands encore, alors qu'à l'inverse nous avons toujours peur que le bonheur nous attire le courroux des dieux."

Cet art de vivre auquel appelle l'auteur, c'est en fait de changer notre rapport à la vie et au temps. Nous ne pouvons pas tout vivre à la fois. Mais nous pouvons tout vivre intensément.

En prenant conscience que "la vie est formidable", nous apprendrons que "nous serons toujours à la mauvaise heure si nous nous interdisons la joie ou le plaisir qu'offre le moment présent, et aussi si nous nous refusons la tristesse ou le chagrin lorsque nous vivons une épreuve douloureuse."

Le message de l'auteur parle au centre de la vie de chacun d'entre nous :

"Il s'agit d'éprouver intensément la vie, de vivre pleinement notre humanité, cette possibilité mystèrieuse que nous avons de vivre, consciemment, notre bref voyage dans l'univers."

A chacun , maintenant, de choisir.

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