Attache moi
15 octobre 2005
C’était dans Le Monde Emploi du mardi 11 octobre : une enquête de l’APEC, sur la nature de relation entretenue par les cadres avec leur entreprise donne les résultats suivants :
- Lien fort à l’entreprise : 34%
- Relation pragmatique : 51%
- Rupture : 15%
Titre de l’article : Les cadres vivent un sentiment d’ « intranquilité » permanente.
Le Figaro du mercredi 12 octobre revient sur cette même enquête, et d’autres du même genre souvent effectuées par des cabinets de recrutement (rien d’innocent), et en remet une louche :
Cadres et entreprises : le temps de la défiance.
Dans Le Figaro, on est allé chercher les témoins anonymes de cette défiance ; en vedette Max, du blog de Max, qui sort son bouquin , mais aussi André (57 ans), Pierre (la trentaine), Valérie (on ne dit pas son âge, car c’est une femme), Florence, Antoine, Guillaume : tous chantent la chanson de cette défiance.
Et puis, pour ajouter le sérieux, Le Monde et Le Figaro ont sollicité les sociologues, et la CFDT. La boucle est bouclée.
François Dupuy, auteur de « la fatigue des élites », est sur le registre « La rupture avec l’entreprise est consommée ».( Moi je croyais que ça ne concernait que les 15% du sondage !) ; « Dites à un jeune qu’il va se réaliser dans son travail, il vous rira au nez ».
Patrick Chotel, spécialisé dans le reclassement des cadres : « Un petit nombre de cadres restent très engagés, les autres ont levé le crayon » ; « En entretien, ils demandent le nombre de jours de RTT, ils refusent des offres, ils ont une vision très claire de ce qu’ils sont prêts à donner ».
Jacky Chatelain, directeur Général de l’APEC, porte l’estocade : « Les cadres ont le sentiment que plus aucune entreprise n’est à l’abri d’une opération spéculative visant à réaliser une plus-value immédiate par l’achat puis la revente des actifs les plus rentables, quitte à la démanteler ».
Pour l’hallali, Philippe Fontaine, secrétaire national de la CFDT Cadres" sonne du cor sur la progression du pouvoir d’achat : « Selon l’enquête que mène la CFDT Cadres, 44% des cadres avaient perdu du pouvoir d’achat en 2004. Une mauvaise année, c’est supportable. Mais quand la situation est mauvaise pendant trois années consécutives, cela devient difficile à accepter ».
Pensée unique, quand tu nous tiens…..
Ce discours envahissant m’interroge ; Et je songe à ces 34% qui ont eu l’audace, dans une telle situation, de parler de « lien fort « à leur entreprise.
Et que dire de cette image de « lien fort », qui fait un peu honte, évoquant un bon esclave servile attaché, ou bien, comme dans les films d’Almodovar, une relation plus perverse entre l’entreprise et ses collaborateurs.
En fait, ceux qui parlent de « rupture », ces 15% qui permettent toutes les généralisations aux Experts, disent la même chose ; là encore c’est une image ou le cadre et l’entreprise sont dans une situation d’attachement/détachement.
Les « pragmatiques », c’est la majorité silencieuse, celle qui n’intéresse personne.
La bonne attitude est, à mon avis,celle où le collaborateur n’est ni dépendant, ni indépendant, mais interdépendant : l’entreprise a ses choix et sa direction, le collaborateur a lui, la responsabilité de piloter son propre navire, de diriger son « entreprise de Soi ».
Stephen R. Covey, dans ses écrits sur « les 7 habitudes de ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent », où cette notion d'interdépendance est trés importante, ne dit pas autre chose, depuis vingt ans.
Rendre possible cette relation différente à l’entreprise, ce n’est pas seulement un travail sur soi( les coachs s'occupent de cet appel), mais aussi une nouvelle façon de diriger et d’animer l’entreprise (Covey parle de « principle-centered leadership »).
Peut-être que le jeune « rit au nez » quand on lui parle de se réaliser dans son travail, et alors ? Faut il lui dire qu’il est là pour ne pas se réaliser, pour s’abrutir ? Ou ne rien lui dire, juste le payer (avec la CFDT qui tient les comptes)…
Comment redonner du sens, de la vie, de l’audace dans l’entreprise, et dans « l’entreprise de Soi » ?
Quelle est la réponse de l’entreprise et de son organisation à ces André, Pierre, Valérie, Florence,… à qui Le Figaro et Le Monde tendent le micro avec complaisance, les laissant à leurs peurs, les confortant dans leur mal-être, le tout enrobé de mots définitifs en tête de colonne : défiance, intranquilité (d’où sort ce terme inconnu et extrêmement assassin, ignoré de mon dictionnaire ?).
C’est à ce défi extraordinaire, source de nouvelles idées, de nouvelles façons d’envisager l’entreprise, de nouveaux caps de performance, que j’ai pensé alors que je mettais dans ma poubelle ces deux articles du Monde et du Figaro.
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