Roman de l'IA

IntelligenceC’est son quatorzième roman, mais le premier que je découvre.

Il s’agit de « Playground », traduit par « Un jeu sans fin » en français, de Richard Powers.

C’est un gros roman de plus de 400 pages, avec des histoires qui se croisent, des personnages dont on suit l’existence tout au long de leur vie. On y découvre cette île du Pacifique, Makatea, qui a été colonisée par les Français, et a été un temps une richesse d’exploitation du phosphate. Mais les mines se sont taries, et l’île se retrouve en 2020 avec 90 habitants, et des infrastructures livrées à la jungle.

Et ça parle aussi d’intelligence artificielle qui est aujourd’hui devenue un héros obligé de nombreuses œuvres de fiction.

Car un milliardaire a l’heureuse idée d’imaginer construire une ville flottante au large de Makatea, ce genre de ville libertarienne en dehors de tout État ; et forcément cela aura un impact sur l’économie de cette île perdue.

Et pour convaincre les habitants de Makatea, qui vont voter pour ou contre ce projet dans leur île, il leur propose une intelligence artificielle, un genre de chatbot perfectionné, appelée Profunda. Les habitants peuvent l’interroger à l’infini pour tout savoir du projet, oralement, car la machine comprend leurs paroles, elle génère des plans et des images en 3D, elle répond à toutes les questions.

Au début les habitants posent des questions pour tenter de piéger la machine, en demandant des informations qu’ils connaissent déjà, comme la superficie de l’île, le nombre d’habitants, des informations sur son histoire. La machine sait tout. Alors ils passent à des vraies questions sur ce qu’ils ne connaissent pas et veulent savoir. Et la machine a réponse à tout.

Et les questions se font de plus en plus précises.

« Avec un tel tirant d’eau, est-ce que ces bateaux ne vont pas bousiller le récif ? ».

Et vient la réponse : « La réponse de Profunda surprit tout le monde. Loin d’édulcorer les faits, elle concéda qu’en effet le projet d’implantation maritime modifierait le lagon, le récif et toute leur population. Elle spécula sur la nature et l’ampleur de cette modification, presque en philosophe. Elle employa les termes « coût » et « dommages », et tenta d’évaluer, en francs Pacifique, le manque à gagner pour l’île que représenterait cette perte de ressources, tout en avertissant que ses estimations étaient au mieux approximatives ».

Une petite fille de l’assistance a alors cette remarque : « Si les créatures du récif doivent en souffrir, est-ce qu’elles ne devraient pas elles aussi avoir le droit de voter ? ».

Et Profunda a bien sûr une réponse aussi, qui laisse l’assistance muette : « Profunda se lança dans un développement sur les droits des animaux, leur statut légal, leur reconnaissance comme personnes morales. Elle admit que de nombreuses espèces à l’intelligence développée peuplaient les fonds marins entourant l’île. Elle évoqua les problèmes inhérents à une culture où seuls les humains étaient considérés comme sacrés ou importants. Elle souligna que dans les cultures fondatrices de la Polynésie, d’autres créatures possédaient un caractère divin et un génie propre ».

C’est comme une prise de conscience : « Sur chaque visage se dessinait la même prise de conscience : ils pouvaient demander à ce monstre n’importe quoi. Et la réponse serait aussi imprévisible que le permettaient des dizaines de milliards de pages de connaissance humaine ».

Voilà bien tracé tout le romanesque de l’intelligence artificielle, les admirations et les peurs qu’elle génère, les questions qu’elle soulève, et la place des humains. Car cette communauté de Makatea va quand même voter, avec le choix de chaque humain qui la compose.

Pour connaître le résultat, et tout le pitch génial de ce roman, il ne vous reste plus qu’à le lire.

Les romans sont peut-être les meilleurs compagnons pour réfléchir aux enjeux de l’intelligence artificielle.


Syndrome d'utopie

UtopiePour changer le monde, sauver la planète, éliminer les inégalités, supprimer la pauvreté, les idées ne manquent pas, et la littérature est abondante, ainsi que les déclarations de politiques exaltés.

Rien de dangereux, sauf quand cela devient une sorte de maladie mentale, celle qui atteint ceux qui sont tellement convaincus d’avoir trouvé (ou même simplement de pouvoir trouver) la solution définitive et totale, et se consacrent à en convaincre les autres, de manière parfois agressive. 

C’est ce que Paul Watzlawick et l’école de Palo-Alto ont identifié dès les années 70 comme ce qu’ils ont appelé le « syndrome d’Utopie ». C’est une maladie car celui qui en est atteint souffre précisément de cette quête sans fin qui l’obsède d’une solution définitive et parfaite à des problèmes du monde et de la société, solution qui par nature n’existe pas.

Une des formes de ce syndrome d’Utopie analysée par Watzlawick est ce qu’il appelle la forme « projective » : elle est constituée par une attitude de rigueur morale reposant sur la conviction d’avoir trouvé la vérité. En général, cela s’approche d’une construction imaginaire d’une société idéale conçue sans trop réfléchir au changement « réel » qui permettrait de passer de l’état existant et critiquable à l’état imaginé. A ce titre, elle peut viser, par la mobilisation des imaginaires, à faire advenir ce qu’elle prédit par le fait de le prédire. C’est ce que l’on pratique encore parfois dans les entreprises avec la réalisation et la formalisation de ce qu’on a appelé les « projets d’entreprise », avec plus ou moins de bonheur.

Mais dans une forme plus dangereuse, ce syndrome d’utopie projective devient une mission pour celui qui est sûr de détenir la vérité pour changer le monde, mission de transformer le monde en convertissant les autres. Son idée est de persuader avec l’espoir que la vérité qu’il détient, une fois rendue sensible, apparaîtra forcément à tous les hommes de bonne volonté.

Et donc, conclusion logique, et c’est là qu’est le drame, ceux qui ne veulent pas se convertir, ou même refusent d’écouter, sont obligatoirement de mauvaise foi. Au point qu’il devient nécessaire, pour le bien de l’humanité, de les détruire. Car ceux qui ont tort, et ne s’en rendent pas compte, ce sont toujours les autres, ou la société.

Toujours dans ces situations, les prémisses sur lesquels le syndrome d’utopie se fonde sont considérées comme plus réelles que la réalité : si je veux ordonner le monde selon mon idéal et que ça ne marche pas, je ne vais pas réexaminer mon idéal, mais accuser l’extérieur, ou la société. Watzlawick cite par exemple les maoïstes et les marxistes qui expliquaient que si la société soviétique n’avait pas réussi à créer la société idéale sans classe, c’était parce que la pure doctrine était tombée dans des mains impures, et non parce que, peut-être, le marxisme pourrait contenir quelque chose de fondamentalement faux.

On pourrait voir le même phénomène, toujours d’actualité, où, pour résoudre un problème dans nos services publics, que l’on ne trouve pas conformes à notre idéal, il faut « plus d’argent » et « plus de moyens », ou « un plus grand projet ».

Ce que Watzlawick résume en « plus de la même chose ».

Pour mieux comprendre les affres et conflits intérieurs de ceux qui veulent sauver la planète ou sauver le monde, ou toute autre cause idéale, en détruisant ceux qui n’ont pas les mêmes « vérités », la lecture ou relecture de Watzlawick peut être salutaire, car il ne semble pas que ce syndrome d’utopie et ses manifestations parfois violentes envers les autres ait véritablement disparu.

L’intelligence collective a encore du chemin à faire pour empêcher les conséquences négatives de ce syndrome.


Révolution blanche

BlancQuand on observe les tendances qui font la mode, il y a des indices qui nous alertent que quelque chose se passe. Et cela constitue des signaux faibles pour ceux qui veulent toujours s’adapter.

Ainsi l’année 2023 est celle où, pour la première fois dans l’histoire, la production de vins blancs est passée devant celle des rouges en France.

Alors, forcément, les producteurs de vins rouges s’en sont ému, et se sont mis à réfléchir à planter des cépages blancs à la place des noirs.

C’était l’objet d’un dossier très documenté du Monde du samedi 1er mars.

Les chiffres parlent : Selon la direction générale des douanes et droits indirects, le blanc a représenté en 2023 13,5 millions d’hectolitres, en hausse de 10% par rapport à 2022, alors que la production de rouges a, elle, reculé de 11% à 12,8 millions d’hectolitres.

Mais la transition devrait prendre du temps car pour le moment les vignes plantées en raisins rouges font 65%, contre 35% pour les blancs (les vins rosés sont aussi faits avec des cépages rouges).

Et puis, ce qui prend du temps, c’est aussi le temps de développement (une vigne prend quatre ans au minimum avant de donner des fruits), et aussi l’enregistrement à l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité).

C’est le genre de tendance que l’entreprise doit avoir anticipé le plus tôt possible.

D’ailleurs cette tendance pour les vins blancs ne date pas de 2023, et était déjà constatée dans les modes de vie et de consommation, notamment ceux des nouvelles générations.

Les études ont montré une tendance de consommation de vins plus légers et rafraîchissants, moins tanniques et moins alcoolisés. Ce sont les 18 – 39 ans qui marquent cette préférence pour les bouteilles à 12° plutôt qu’à 14°. Et puis, autre phénomène, les réseaux sociaux qui influencent aussi en popularisant le verre de rosé ou de blanc en terrasse.

En perte de vitesse, les vins bien lourds pour les repas de fête ou en famille. On préfère les apéritifs informels entre copains, et moins au restaurant, et plus au bar, moins en mangeant et plus en grignotant. Là encore, de quoi donner des idées pour de nouveaux styles d’établissements.

Autre phénomène, c’est l’évolution du vocabulaire du vin lui-même. Le critique américain Kermit Lynch, cité par le dossier du Monde, fait remarquer que, dans les années 70, le vin était surtout comparé à un homme, on parlait de sa puissance ; et maintenant on y trouve des notes de fruits ou de fleurs. Ce qui indique l'influence des femmes, et il y a de plus en plus de vignerons qui sont des vigneronnes.

Alors, les vignerons sont à l’œuvre. On va bientôt pouvoir déguster des Médoc blancs (L’INAO a donné son accord en 2023, pour un dossier déposé en 2019, et on attend encore la décision du ministère de l’Agriculture). Il y avait déjà des médocs blancs, mais en vins de France. Là on va avoir des AOC.

Même chose en Corbières (les surfaces consacrées aux cépages rouges ont chuté de 28% en dix ans), où l’on arrache les vignes en rouge pour planter des cépages pour les blancs. Idem à Rasteau, en Beaujolais ou en Minervois.

C’est ce qu’on appelle déjà une révolution blanche.

Il y a des révolutions plus agréables que d'autres...


Taxe

TaxeLire devient il une habitude désuète en perdition ?

C’est ce qu’on pourrait déduire de la dernière étude du CNL (Centre National du Livre).

On y découvre qu’un jeune de 16-19 ans sur trois ne lit pas du tout dans le cadre de ses loisirs.  Et que quotidiennement les jeunes passent 10 fois plus de temps sur les écrans qu’à lire de livres. Et le nombre de jeunes qui affirment ne pas aimer lire est en hausse : 19% et même 31% chez les 16-19 ans en 2024.

Alors le CNL, avec ses 65 employés, lance des initiatives publiques, comme des évènements de lecture partagée, pas forcément que pour les jeunes d’ailleurs.

Et puis, pour faire lire, certains, en milieu rural notamment, des bénévoles, créent des bibliothèques, et pas seulement pour les jeunes. Le Figaro du 15 février mentionnait la bibliothèque de Ladrat, sur le plateau de Millevaches, en Haute-Vienne, qui s’est installée dans une grange, à l’initiative de Gilles Dessaigne, ancien instituteur. Il y propose 10.000 ouvrages, issus de dons de gens qui l’appellent pour lui donner des livres qu’ils ne veulent plus.

Mais comme la grange commençait à être trop petite, il a eu une idée, créer une boîte à livres en accès libre : « J’ai récupéré de vieilles planches auprès d’entreprises, j’ai veillé à bien respecter ce que l’on m’avait recommandé à la mairie, et j’ai construit une petite cabane. Mais voilà que quelque temps après, j’ai reçu un avis me demandant de payer plus de 500€ au titre de la taxe pour abris de jardins ! Moi, je veux bien donner de mon temps, mais faut tout de même pas que j’y sois de ma poche ! ».

Il a donc démonté sa cabane, « très énervé ».

La lecture attendra ; la taxe d’abord.


Devenir vert : ils y ont pensé pour nous

VertOn peut croire que sauver la planète, lutter contre le réchauffement climatique, c’est une histoire de conviction et d’intelligence collective, sans contraintes ni punitions.

Mais c’est pourtant ce qui se passe. Et pour les contraintes, on ne manque pas d'idées.

Prenons les véhicules électriques. Cela ne progresse pas assez vite. Alors l’Etat et le législateur vont s’en occuper.

La loi d’orientation des mobilités de 2019 a ainsi contraint les entreprises disposant d’une flotte de véhicules de la « verdir » : Cette loi impose des quotas de véhicules électriques lors du renouvellement des flottes (20% en 2024 et 2025, 40% en 2027). Et si vous ne respectez pas ces quotas, c’est l’amende par véhicule manquant.

Apparemment, ça ne suffit pas. Les entreprises n’acquièrent encore que 11,5% des véhicules électriques, contre 20,4% chez les particuliers.

Alors, la loi de finances 2025 a trouvé utile d’en remettre une couche. Elle prévoit d’instaurer une taxe annuelle, dite malicieusement « incitative » relative à l’acquisition de véhicules légers à faibles émissions. En clair, les entreprises qui n’électrifient pas leur parc automobile au rythme établi par la Loi d’orientation des mobilités devront s’acquitter de sanctions financières.

Attention, pour calculer ces taxes, le législateur a tout prévu pour vous casser la tête. La taxe comprend trois facteurs :

  • Un tarif unitaire par véhicule manquant (2000 euros en 2025, 5000 euros à partir de 2027),
  • L’écart entre l’objectif cible d’intégration des véhicules propres (toujours à 20% pour 2025). Si l’écart est nul et que l’entreprise remplit ses objectifs de verdissement, elle ne paiera pas de taxe. Si l’objectif n’est pas atteint, elle paye une taxe sur l’écart annuel (15% en 2025, et 48% en 2030). Mais attention, les véhicules particuliers à très faible émission, ainsi que les véhicules à usage spécial bénéficient d’un coefficient majoré, afin d’améliorer leur poids dans le calcul et donc réduire la taxe.
  • Mais il y a un troisième facteur, qui est le taux de renouvellement annuel des véhicules très émetteurs : Plus l’entreprise renouvelle ses véhicules polluants, plus la taxe sera élevée. Il y a un autre tableau pour faire le calcul.

Mais là où ça se complique, c’est quand il faut déterminer la date d’intégration du véhicule dans la flotte. Jusqu’à présent c’était la date de commande du véhicule. Maintenant, avec la nouvelle loi, ce sera la date d’intégration du véhicule dans la flotte, c’est-à-dire la date d’immatriculation.

Bon, il y a des exemptions pour certains véhicules qui ne seront pas taxés, comme les véhicules de location courte durée ou les véhicules agricoles et forestiers.

Tout n’est pas calé, les fonctionnaires zélés en charge sont à la tâche pour affiner encore.

Mais on pourrait peut-être en rajouter un peu, qu’en dîtes vous ?

C’est le sens de la proposition de loi de deux députés, Jean-Marc Fiévet (Renaissance) et Gérard Leseul (Parti Socialiste) pour faire encore plus : Abaisser le seuil de véhicules à 50 véhicules au lieu de 100, augmenter les quotas (Pour les entreprises disposant de plus de 100 véhicules en parc, le quota d’intégration de véhicules à très faibles émissions lors des opérations de renouvellement de flotte est fixé à 20 % à partir du 1er janvier 2026, à 40 % au 1er janvier 2027 et à 70 % au 1er janvier 2030), augmenter les amendes en cas de non-respect. Mais aussi sanctionner celles qui omettent de déclarer (Pour les entreprises, le défaut de transmission des informations liées aux opérations de verdissement sera passible d’une pénalité d’un montant maximal de 1 % du chiffre d’affaires français hors taxes du dernier exercice clos réalisé).

Bon, comme il serait trop simple de faire simple, il y a aussi des exemptions nouvelles qui sont prévues : les « grands fourgons » sont exonérés, mais les fourgonnettes et les moyens fourgons sont concernés.

En revanche les véhicules hybrides rechargeables seraient exclus du calcul des quotas. Il faut des 100% électrique.

Les députés ont encore plein d’idées pour « améliorer » l’histoire. Par exemple limiter la proposition aux véhicules qui servent aux trajets domicile travail des employés, et alléger ou exonérer pour les autres. En gros certains vont ajouter des exemptions, d'autres en enlever. Ou alors on peut ajouter de nouveaux facteurs.

Y a pas que les flottes de véhicules qui vont devenir vertes…


Sommes nous revenus à l'Ancien Régime ?

FolieC’est Marx qui prophétisait l’inéluctable déclin du capitalisme.

On en est encore loin, et celui-ci est encore bien vivant. Mais il a changé.

Au point que certains voient dans le nouveau capitalisme, celui en recomposition depuis les années 80 en France, le retour de mœurs de l’Ancien Régime en France.

Diable !

C’est la thèse Pierre Vermeren, docteur en histoire et normalien agrégé, qu’il exposait dans une récente tribune du Figaro.

L’Ancien Régime, c’est l’empire d’une économie de rente : « Hormis les monopoles coloniaux et les manufactures, sa grande affaire était non l’exploitation de la terre par les masses paysannes (plus de 8 Français sur 10), mais les rentes qu’on pouvait en tirer : droits seigneuriaux, impôts directs et indirects, dîme etc ».

C’est cette époque de l’affermage, où le Roi pouvait déléguer par bail unique à un particulier, pour une durée limitée, le droit de recouvrer un impôt et d’en conserver le produit. Ce système de rentes a perduré dans la France des XVIIème et XVIIIème siècles.

Autre système de la Monarchie, les charges viagères, ces offices (fonctions militaires, de finance ou de magistrature) que pouvaient acheter les agents royaux et en disposer à leur guise contre un paiement forfaitaire.

Quel rapport avec le capitalisme en France d’aujourd’hui ?

Ce qui forge les nouvelles rentes d’aujourd’hui, ce sont notamment les oligopoles dans le BTP et les services en réseau à qui la commande publique s’adresse par endettement, soutenu par les banques qui financent cette dette publique. Ce système de dépenses publiques infinies se déploie pendant que le secteur économique indépendant « s’asphyxie » : « l’agriculture, l’artisanat, l’industrie et le commerce s’étiolent. 2024 est l’année record des défaillances d’entreprises ».

Dans ce capitalisme, « les banques préfèrent les bons d’Etat (qui financent la dette) aux prêts aux entreprises, qui rapportent d’aléatoires dividendes ».

C’est comme cela que les acteurs publics surinvestissent dans des équipements à crédit qui font tourner l’économie locale des entreprises du BTP, avec les ronds-points, les poubelles enterrées, les mobiliers urbains, les stations solaires, etc. Un des chefs-d’œuvre de cette rente constituée concerne les autoroutes privatisées. Dans cette économie qui a « renoncé à produire », la rente est tout : « péages et restaurants d’autoroutes, toilettes urbaines, panneaux publicitaires, centres commerciaux des gares et des banlieues, niches comme les pompes funèbres ou la viande halal », mais aussi « construction des HLM, des pavillons, des prisons, des collèges, des éoliennes et champs de panneaux solaires, rénovation thermique du bâti public et privé ».

Autres agents royaux qui profitent du système en faisant la roue autour des projets qui coûtent et qui dérapent toujours dans un Etat suradministré, les juristes, consultants, communicants et agences de tous poils, ceux qui ne survivent que des faveurs de l'argent public, en flattant les donneurs d'ordre.

Ce qui vient encore plus encourager cette tendance, c’est bien sûr le développement des normes publiques (bilan thermique, contrôle technique, glissières d’autoroutes, ascenseurs obligatoires, isolants phoniques, autant de sollicitations qui viennent gonfler la commande publique et les carnets de commande des nouveaux agents royaux. Pendant que ces normes asphyxient plus encore l’initiative privée et la libre concurrence.

Et pendant que se développait ce capitalisme de l’achat public, et de ses conséquences directes et indirectes, financé par la dette, nous avons technologiquement décroché, et « l’enrichissement par la rente d’une génération a obéré l’avenir du pays ».

La conclusion n’est pas très optimiste :

« En restant dans la compétition industrielle mondiale et en développant l’informatique, les autoroutes de l’information, et la net-économie, nous aurions obtenu une profitabilité très supérieure ». 

En gros notre production s’est effondrée et nous vivons à crédit et endettés.

Pas simple de s’en sortir, d’autant que « comme à la fin de l’Ancien Régime, la violence menace ».

Pourra-t-on reprendre la main sur l'Intelligence Artificielle, comme voudrait le croire le sommet sur le sujet en ce moment ?

On va reparler de révolution ?

Ou de nouveaux choix de société guidés par un renouveau du libéralisme, le vrai, celui de la liberté ?


Tu ne peux pas faire tout seul

NapoleonSi l’on parle de leader, on invoquera sa vision, sa détermination, on comparera à des chefs célèbres, dans l’Etat ou l’armée, à Napoléon par exemple.

Et c’est vrai que l’on peut avoir l’impression que certains dirigeants se prennent un peu pour Napoléon, ce qui les rapproche du profil des fous (Les hôpitaux psychiatriques sont parait il peuplés de patients convaincus d’être Napoléon).

Mais voilà, aujourd’hui, le leadership, c’est aussi l’attention portée aux employés et aux collaborateurs.

Se trouver dans une réunion de managers qui bavardent en attendant qu’elle commence ; et puis le chef arrive ; silence dans la salle, les regards braqués sur ce chef, qui va prendre la parole ; ces visages de soumission, voire de peur rentrée, voilà une expérience qui en dit long sur le style de management. Le chef a l’air content de lui. Les plus jeunes ont l’air d’automates, les plus anciens aux regards de chiens battus habitués à être de bons soumis font un peu pitié. Mais comment marche donc cette entreprise ?

Quand ça craque vraiment, on parlera même, médecine du travail en appui, de « management toxique » ou de « harcèlement ».

Le Figaro rapporte cette semaine que c’est le cas de la préfète déléguée à l’égalité des chances à la préfecture de Gironde (c’est quoi ce poste ?), qui est visée par un rapport de la médecine du travail pour son « management toxique » causant un « risque suicidaire élevé » chez ses collaborateurs.

L’affaire n’est pas close et l’intéressée, forcément, s’en défend, et dit qu’elle a « toujours porté la plus grande attention à ses équipes ».

En fait, développer son leadership en se gardant de ce risque n’est pas toujours évident. Et on apprend plutôt sur le tas, par essais et erreurs, même si certains sont plus doués que d’autres. Et ça concerne tous les dirigeants, même avec une petite équipe. C’est le dilemme dans certaines start-ups aussi, qui voient augmenter les effectifs très vite, avec des dirigeants entrepreneurs concentrés sur la stratégie et le développement et qui ne savent pas comment manager ces collaborateurs, certains les considérant même comme des contrats de travail sur pattes, qui n’ont rien à dire.

Il y a déjà quelques années, deux chercheurs, James M. Kouzes et Barry Z. Posner, ont publié plusieurs ouvrages sur ce qu’ils appellent les « règles du leadership ». Elles méritent toujours d’être lues et relues.

Parmi celles-ci, justement : « Tu ne peux pas faire tout seul ».

Ils ont observé, comme d’autres, que la relation avec les subordonnés était un des critères essentiels de la réussite et de la performance. C’est aussi ce qu’a étudié Daniel Goleman à propos de ce qu’il appelle « l’intelligence émotionnelle ». D’autres, plus proches de la psychanalyse, parleront de « lien libidinal ».

Mais alors, on fait comment, messieurs Kouzes et Posner. Cela a l’air simple en fait :

« Pour établir un lien humain, il faut une écoute exceptionnelle. Vous devez comprendre le point de vue des autres, et cette capacité s'est avérée être la différence la plus flagrante entre les dirigeants qui réussissent et ceux qui échouent ».

Le secret est de passer le temps avec les employés, directement sur le terrain, avec intimité, familiarité, empathie, être comme en « résonance » avec eux.

Mais de quoi leur parler ?

Les auteurs considèrent que, parmi les sujets de discussion ouverts, ceux concernant le futur sont les plus porteurs de motivation et de sens. Car, en étant sur le terrain des opérations, on fonctionne plutôt dans le présent et les objectifs à court ou même très court terme. Alors que le dirigeant a une obligation de se préoccuper du futur aussi, de ce qui pourrait arriver, des scénarios qui peuvent advenir, et de comment s’y préparer. Ce que les employés attendent, ce n’est pas que le chef déroule sa vision, mais comment leurs propres rêves peuvent se réaliser, et se représenter eux-mêmes dans ces visions et scénarios du futur. La vision et le futur ne sont pas un monologue du chef, mais l’occasion de conversations dans toute l’entreprise. C’est tout le bénéfice des exercices de scénario planning que de nombreux dirigeants pratiquent et déploient régulièrement (et ils sont de plus en plus nombreux à le faire), et dont j’ai déjà parlé ICI.

Pour l’employé, le bon leader, c’est aussi celui qui lui donne le sentiment qu’il va le rendre meilleur. C’est comme cela que l’on se souvient des managers qui nous ont ainsi aidé dans notre parcours professionnel.

Il y a une scène connue dans le film « Pour le pire et pour le meilleur » de James L. Brookes (1997), avec Jack Nicholson, dans un restaurant, à propos d’un compliment, qui montre bien ce sentiment.

A visionner pour s’en convaincre :

 


Automate

MarionnetteIls sont jeunes et brillants, ils ont adoré les études et les classes de Prépa, ils ont réussi le concours de l’école de commerce, et là, ils s’y ennuient. Cela ne les intéresse plus tant que ça ; que vaut le marketing, la compta ou la finance, par rapport à la philosophie, la littérature, l’Histoire ? Le choc est parfois rude.

Pour d’autres, c’est l’entrée dans la vie professionnelle qui est un choc : ce sentiment que ce travail où l’on doit faire des reporting et des présentations Powerpoint sous le contrôle d’un chef, des reporting et des présentations dont on ne sait même pas qui les lit, quel ennui.

C’est ce sentiment qu’évoque, avec une bonne dose de vécu autobiographique, Valentin Grégoire, jeune auteur de 30 ans, dans son roman « L’automate ».

Ce qui l’a amené à écrire ce roman, qu’il a travaillé pendant deux ans en 2021 et 2022, c’est cette impression de perdre toute réflexion intellectuelle dans le monde du travail où l’on vous demande d’appliquer des « process » rôdés sans réfléchir. Ce monde des « process » et procédures que l’entreprise déploie pour être performante et efficace, bien sûr. Pourquoi réinventer ce qui marche ?

C’est ce qui arrive au héros de ce roman ; c’est lui « l’automate », qui exécute le travail demandé, tous ces reporting sans sens, sans résister. On comprend que ce qui infantilise et déshumanise, dans cette vision, ce n’est pas la technologie mais le travail lui-même et le mode de management des chefs. C’est Charlot et les « Temps modernes » au pays des jeunes cadres de 2025.

Les anecdotes sont nombreuses, sûrement souvent des souvenirs d’expériences concrètes. Ce chef qui relit les travaux de ce jeune embauché en se gavant de chocolats, et qui, considérant le travail avec satisfaction, pense quand même à lui en offrir un.  Et le jeune embauché qui se demande si ce manager ne le prend pas pour un animal domestique.

Et cette frustration de ne pas savoir pourquoi on travaille : « Le travail fourni tout au long de ces deux journées était donc achevé, et quelqu’un d’autre allait en assurer la continuité. C’était une sorte de passage de relais, même si R. allait perdre définitivement de vue le témoin. Bien sûr, il ne s’était pas imaginé qu’il allait lui-même défendre ses résultats auprès du comité de direction ; cependant, ne pas savoir quelle était la finalité de son travail et ce à quoi tout cela allait servir le frustrait un peu. Il avait été une sorte de rouage dans la chaîne de décision et lui, encore trop junior, ne pouvait ambitionner le moment pour le moment d’être en bout de celle-ci ».

Autre anecdote révélatrice, ce moment où le jeune débutant essaye de résoudre un problème de données, et qui se voit renvoyé d’un service à l’autre, personne ne voulant s’en sentir responsable. Jusqu’à ce qu’un collègue malin lui suggère « si tu veux éviter qu’on te fasse tourner en bourrique trop longtemps, mets ton manager en copie de tes mails. Sinon, ils se défausseront, ou ils ne te répondront même pas ». Sage conseil, qui permettra effectivement d’obtenir les réponses qu’il n’arrivait pas à avoir. Image révélatrice des rapports d’obéissance et d'influence dans l’entreprise. La peur des chefs.

La deuxième partie du roman prend la forme d’un « journal » où le héros couche ses états d’âme, et aussi ceux de ses collègues, dont celui d’Ariane, qui, elle, ne supporte plus le travail : « J’ai cette impression, depuis mon arrivée, qui s’amplifie à mesure que les jours se succèdent ici, de vivre dans un monde artificiel, coupé de la vraie vie et emmuré dans une bulle de béton. Rien ne me paraît réel ici, tout est factice, impalpable, gazeux. Il m’arrive de me sentir fantôme, fantôme de ma propre vie, où j’obéis à des règles, à des habitudes fabriquées par d’autres, mais où rien n’est décidé par moi-même, par ma seule volonté, par mon seul désir. J’ai l’impression de vivre en plages horaires, où le déroulement du jour est séquencé, découpé en de petites rondelles de temps où chacune a sa propre fonction, son propre mode, où tout est prévu d’avance et où les secondes sont comptées, précieuses, omniprésentes à l’esprit – bien trop présentes ». Elle va démissionner.

Lui, en bon automate, continue à suivre le mouvement ; mais la troisième partie est une sorte de twist qui modifie d’un coup notre lecture. Malin, Valentin.

Au moment où les discours dans l’entreprise sont de vanter le management humaniste, la raison d’être, le sens, ce roman vient comme une petite douche froide nous rappeler que, vécue par les jeunes diplômés de nos brillantes écoles, l’entrée dans la vie professionnelle de l’entreprise n’est pas aussi rose.

Peut-être que ces témoignages des nouvelles générations permettront aussi de continuer à faire bouger nos modes de management afin de mieux les intégrer. Même si, heureusement, toutes les entreprises et tous les managers ne ressemblent pas tous à ce que décrit ce roman.

Ce roman sur le vif est quand même aussi l’occasion de remises en cause pour certains.

A lire et à faire lire.

Merci Valentin !


Qu'est-ce qui fait la force ?

Lion2Pour bien diriger il faut de la force, de l’autorité. C’est du moins ce que l’on pourra retenir de l’année 2024 en matière géopolitique. C’est le constat que fait Nicolas Baverez dans une tribune du Figaro de lundi. L’année 2024 « a accouché d’un monde d’hommes forts, surplombé par la figure de Donald Trump, dont l’influence pèse sur la planète avant même sa prise de fonction. L’année 2025 consacrera cette nouvelle donne où le commerce, le droit et la diplomatie sont soumis à la loi du plus fort ».

La logique du système mondial pour 2025, toujours selon Nicolas Baverez, c’est la fragmentation, la confrontation et la brutalisation.

Alors les rock star d’hier, chantres du multiculturalisme et de la tolérance, comme Justin Trudeau, qui vient de démissionner, c’est fini.

 Mais alors, dans nos entreprises, c’est quoi la tendance ?

Ce serait plutôt l’inverse en ce moment. Prenons Stellantis, marqué par les années Carlos Tavares, celui qui se proclamait « psychopathe de la performance », obsédé par une vision autoritaire de la performance. C’est John Elkann qui le remplace en interim du Comité Exécutif, et apparemment le style a changé. Le Figaro titrait « Champagne, câlinothérapie…Chez Stellantis, la méthode Elkann pour solder l’ère Tavares ».

Et on y apprend que celui-ci a réuni les 130 cadres de direction du Groupe à la cantine du centre de recherche et développement pour sabler le champagne, une première chez Stellantis. Les cadres n’en sont pas revenus. Du changement par rapport à « l’austère Tavares ».

Ils perçoivent aussi du changement dans l’organisation, avec la volonté de décentraliser (là encore ce serait l’inverse de la tendance en politique) : « Très verticale, elle va s’aplatir ».

Et il va y avoir du changement à prévoir aussi dans le style de management, comme le rapporte au Figaro un des cadres syndicaliste : « Sous Tavares, c’était le petit doigt sur la couture du pantalon. Il ne savait pas déléguer, il était craint et donnait l’impression d’aimer être « le boss ». Aujourd’hui la pression s’est relâchée ».

Le temps du patron admiré de tous pour la performance et ce management viril semble vraiment disparu.

Aujourd’hui, être bon patron, c’est parler un peu plus d’humain, d’humilité.

Autre communication dans le même style, celle de la nouvelle directrice générale du Groupe Picard Surgelés, Cécile Guillou, dans un entretien fin décembre, explique : « Si un collaborateur souhaite me parler, mon bureau lui est toujours ouvert ». « Arriver dans une entreprise sans avoir au préalable pris son pouls, cela nécessite de tisser de la confiance rapidement. C’est cela que j’ai créé, car, quand on prend tous la même direction et que l’on est soudés, on traverse plus facilement les tempêtes. ».

Et puis les équipes, c’est important : « Quand on avance, il est indispensable de se retourner pour voir si les équipes suivent ». Et le Figaro ajoute que ces équipes, justement, étaient « bousculées par une précédente direction aux méthodes moins rondes ».

Mais alors, si on est devenu câlinothérapeute et plus rond, ça risque de faire flancher la performance ? Non, car, comme le rapporte un cadre du Groupe cité par Le Figaro, « Cécile est certes dans le jeu collectif, qui est sa marque de fabrique, mais son exigence et la pression sont bien là. C’est utile, car maintenant que Picard est sorti de son sommeil, il ne faudrait pas que la recherche de consensus se fasse au détriment de la prise de décision ».

Chez Stellantis aussi, on reste prudents, selon Le Figaro : « Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur les leviers que vont utiliser les actionnaires pour continuer de profiter de la machine à cash que Carlos Tavares avait inventée », car « même avec un management moins raide, il faudra encore serrer les coûts. Les actionnaires comptent sur le premier d’entre eux, John Elkann, pour veiller au grain ».

Finalement, n’est-ce pas Napoléon Bonaparte qui aurait le dernier mot, à qui on attribue la formule « Il faut mener les hommes avec une main de fer dans un gant de velours », expression déjà utilisée par Mazarin, et de nombreux politiques.

En ce moment, le velours a la côte ; mais le fer n’est pas trop loin…


Violence à l'Assemblée

Boissy123C’est en octobre 1793 qu’est institué un nouveau calendrier, « révolutionnaire », on dira « républicain », par la Convention nationale, élue en 1792 ; Convention qui siège, à l’époque, dans le jardin des Tuileries (Notre bâtiment de l’Assemblée Nationale, le Palais Bourbon, confisqué comme bien d’émigré en 1791, ne sera lieu de l’Assemblée qu’à partir de 1798).

 Dans ce calendrier, Thermidor correspond au onzième mois, du 19 ou 20 juillet au 17 ou 18 août, et tire son nom « de la chaleur tout à la fois solaire et terrestre qui embrase l'air de juillet en août ».

Ce nom de Thermidor a surtout marqué l’histoire par la journée du 9 Thermidor An II. C’est ce jour-là, soit le 27 juillet 1794, que les députés de la Convention se lancent dans un réquisitoire brutal contre Robespierre, et votent contre lui et ses fidèles à l’unanimité. Et ils sont immédiatement, sans procès, et presque sans jugement, conduits à l’échafaud. Le 10 Thermidor, Robespierre n’est plus.

Ainsi débute cette période de l’An III, que l’on a appelée thermidorienne, par un renversement contre la Terreur qui a sévi lors de l’An II.

Avec Thermidor, on entre dans une nouvelle époque de la Révolution, qui se veut une redéfinition de la Révolution pour mieux la finir. Ce qui va servir de ligne directrice aux thermidoriens, on dirait aujourd’hui les modérés, c’est un mot prononcé à la tribune de la Convention dès le 11 fructidor An II (28 août 1794) par le député Tallien : « La justice est à l’ordre du jour ». C’est maintenant la justice et le droit qui vont être mis en avant, et non plus l’arbitraire de la Terreur, dans un esprit modéré, réparateur, et plus respectueux du droit ordinaire. Ce sera le temps de la réforme de la justice politique, de la réintégration des girondins proscrits dans la période précédente, de la clémence manifestée par l’amnistie en Vendée.

Mais voilà, ce sentiment de bien faire, avec des députés qui se sentent moralement et psychologiquement du parti du peuple, en voulant agir pour son bien, va rencontrer un phénomène de ce que l’on peut appeler « grogne sociale » : le peuple a faim, et la famine va réveiller les esprits.

C’est la célèbre journée du 1er Prairial An III (20 mai 1795) où, dès cinq heures du matin, des sans-culottes forcent les portes de plusieurs églises de Paris pour sonner le tocsin, signal de la révolte. Et ce sont 60.000 hommes et femmes qui marchent sur la Convention aux cris de « Du pain ou la mort », écrits à la main sur les chapeaux.

Les insurgés vont alors envahir la Convention. Le député Féraud tente de les repousser ; il a la tête tranchée, et les rebelles vont promener sa tête au bout d’une pique à travers l’assemblée et les salles avoisinantes pendant des heures.

A 21 heures, les conventionnels sont invités à se regrouper au pied de la tribune pour voter, de force, les décrets préparés par les insurgés, qui exigent de donner du pain au peuple, mettre en liberté les patriotes, arrêter les « coupables de crime de lèse-nation, et de tyrannie envers le Peuple », et aussi abolir le Gouvernement révolutionnaire, et réunir les assemblées primaires pour de nouvelles élections. Le vote doit s’effectuer en levant son chapeau en l’air.

L’Histoire retient l’attitude du député Boissy d’Anglas, président de la Convention, qui sera considéré comme le défenseur de la liberté : Sous la menace des piques, les baïonnettes braquées sur lui, il refuse de mettre aux voix les décrets et exige que la foule se retire. A ceux qui lui brandissent la tête du député Féraud, il répond par un geste qui est resté célèbre. Il ôte son chapeau et s’incline religieusement devant la tête décapitée de son collègue. C’est ce qui est représenté dans plusieurs tableaux dont le tableau de Joseph-Désiré Court, ou celui de Joseph-Auguste Tellier ou encore  celui de Fragonard.

A plusieurs reprises, les députés de la Convention ont prêté serment, à l’approche des insurgés, de ne pas quitter la Convention en cas d’attaque et de mourir à leur poste plutôt que de voir tomber le pays entre les mains des rebelles et anciens terroristes de la Terreur. Néanmoins, certains députés, ceux dits de la Montagne, vont se rallier à la cause des rebelles, une façon pour eux de tenter d’anéantir les réformes thermidoriennes qu’ils combattaient depuis un an.

Pour finir, vers 23 heures, ce sont les troupes de la Garde nationale fidèles au pouvoir, qui vont cerner la Convention, prêtes à intervenir. Et vers minuit, les organisateurs de la défense de l’assemblée pénètrent dans la salle des séances et font évacuer les groupes de sans-culottes encore présents.

Après ces évènements, un des secrétaires de l’assemblée se saisit de la liasse de papiers sur lesquels figurent les décrets des sans-culottes, tâchés de sang, et déclarés entachés de nullité, et les brûle.

S’en suivra une répression sévère et exemplaire. Une commission militaire est instituée le 4 Prairial pour juger les auteurs de l’insurrection ; Elle prononce 36 condamnations à mort, dont 6 à l’encontre des députés montagnards accusés de complicité avec les insurgés.

C’était il y a 230 ans ; ça remuait à l’Assemblée nationale, encore plus qu’aujourd’hui, quoique…

Espérons que nous ne reverrons pas de tels évènements comparables.

(J’ai trouvé le récit de cette journée dans l’excellent ouvrage de Loris Chavanette, « Quatre-vingt quinze – La Terreur en procès » (2017)).